Le comble pour un chrétien, nous dit l’évangile de ce 33e dimanche, ça serait de se tromper de fin du monde. Telle me semble la bonne nouvelle d’aujourd’hui, à l’approche de la fin de l’année liturgique. À savoir : puisque la fin du monde aura forcément lieu, la question principale est de ne pas périr avant qu’elle n’arrive.

Fausses alertes à répétition

Prenez une petite pause et pensez au nombre de fausses alertes sur la fin du monde qu’il y a eu depuis… hier. Je me rappelle prêchant cet évangile il y a six ou sept ans en arrière. Donald Trump allait briguer la présidence des Etats-Unis. On annonçait que, s’il le devenait ce serait la catastrophe. Puis il l’est devenu. Puis on a dit que s’il gouvernait, ça serait la catastrophe final. Puis il a gouverné et on a dit que s’il ne partait pas ça serait la catastrophe. Prenez ce seul fait et regardez votre vie et demandez-vous si cela y a vraiment changé quelque chose…

Si vous réussissez à passer ce test avec brio, maintenant pensez au Brexit. Les Européens en particulier en ont fait une si grosse affaire qu’on croyait que l’Angleterre allait dispairaitre dès le lendemain de la carte du monde. Fausse alerte. Puis prenez tel attentat ici ou là ou la COP27 qui a lieu en ce moment et où l’on dit que si l’on ne fait rien, ça sera la fin du monde. Et prenez la guerre en Ukraine qui est l’autre fin du monde qui a lieu en ce moment. Ou pensez à la fin du monde des fins du monde des dernières années : la pandémie du Covid (l’Académie Française veut qu’on dise la Covid mais bon, hein). Cette pandémie qui devait être une catastrophe, annoncée comme une hécatombe surtout pour les pays d’Afrique, le monde a pu encore la regarder avec sourire passer, sans la crise d’arrêt cardiaque qu’on lui prédisait.

Qu’on m’entende : je ne dis pas que ces événements ne sont pas graves. Ils le sont. Je parle ici du récit qui les entoure souvent et qui en fait un prélude de fin du monde… qui se fait toujours attendre, tranquillement. Vous direz qu’elle n’a pas lieu parce les hommes en tirent des leçons, se reprennent en mains et en sortent plus sages. Mais vous savez aussi que vous ne pouvez pas dire des choses comme ça sérieusement. Une fois encore, ce sont là de graves événements qui réveillent notre peur : peur d’une chose puis de l’autre, puis d’une autre encore et d’une autre après, et à chaque fois, cette fameuse chose ressemble à une fin du monde… mais « ce n’est pas encore la fin ».

La fin du monde

La fin de nos mondes

Ce que les hommes appellent la catastrophe, ce qu’ils appellent la fin du monde, n’est jamais que l’écroulement de ce que leurs mains ont créé. Une paroissienne m’a raconté que la semaine dernière, étant allée faire les courses dans un magasin, soudain il n’y avait plus de connexion internet et personne ne pouvait payer avec sa carte bancaire. C’est banal mais voilà des circonstances qui nous donnent soudain l’impression que le monde tombe sur sa tête. Mais ce qui s’arrête là soudain, ce n’est pas le monde. C’est le monde tel que nous l’avons bâti.

Nous avons peur, et c’est une peur légitime, que le monde tel que nous le connaissons s’écroule. Nous avons peur que le temple, tel qu’il est dans sa splendeur et dans sa beauté, s’effondre. Mais Jésus nous dit une chose étonnante dans l’évangile d’aujourd’hui : c’est que cette fin du monde qu’on nous annonce souvent, n’est pas la vraie fin du monde. On vous dira, il est ici ou là : n’y accourez pas. Vous verrez des tremblements de terre, des nations levées contre d’autres nations, de grands signes dans le ciel, vous verrez ceci et cela, mais ce ne sera pas encore la fin, répète-t-il, comme s’il avait peur que nous confondions les choses.

Lorsque s’écroule les œuvres de ses mains, l’homme croit que c’est la fin du monde. Lorsque les nations qui, il ne faut pas l’oublier, sont l’oeuvre des mains de l’homme, lorsque ces nations sont secouées, l’homme croit que c’est fini. Lorsque le temple qu’il a bâti comme signe de sa grandeur s’effondre, l’homme n’a d’autre mot que de crier à la fin du monde. Lorsque l’Amérique, la grande et puissante Amérique, tombe dans les mains de Trump ou de jihadistes, le monde ne sait rien dire d’autre que nous annoncer : voilà la fin du monde. Mais Jésus nous invite à ne pas nous laisser tromper par toutes ces annonces : n’y courez pas, etc. Si vous succombez à cette fin du monde, vous risquer de rater la vraie, la meilleure.

Dieu, vos cheveux et la fin du monde

Le comble pour un chrétien est donc de confondre cette fin de nos mondes avec la fin du monde. Car Jésus ne dit pas que la fin ne viendra pas. Il parle lui aussi de la fin, de la vraie fin. Et, plus encore, il ne nous dit pas que ça sera une fête : des signes dans le soleil, la trahison des proches, et des persécutions, etc. Mais il ajoute, avec un tel calme qui nous surprend, de ne pas en avoir peur. Et même, entre les lignes, il nous laisse entendre que pendant que le soleil s’emballe, que les nations se dressent les unes contre les autres, Dieu pendant ce temps qu’est-ce qu’il fait : il s’occupe, entre autres, de nos cheveux. Vous savez: les 1%. Si vous passez à côté de cette ironie, vous risquez d’être inquiété à jamais par n’importe quelle catastrophe. Ironie cinglante à garder en tête quand on nous annoncera la prochaine catastrophe comme la fin (car il y en aura bien d’autres qui viendront prétendre être lui.)

Pendant que les hommes se battent, se livrent, se guerroient et jouent à se faire peur, Dieu s’occupe de leurs cheveux pour qu’aucun ne se perde. Et c’est cela, la rupture décisive avec la rumeur du monde. D’un côté, on nous annonce la fin du monde comme une catastrophe pour nous faire peur, et de l’autre, Jésus nous dit que la fin du monde est une chose dont nous n’avons nulle besoin d’avoir peur. D’un côté, on nous annonce la fin du monde en nous disant que si elle arrive, nous perdrons tout. De l’autre, Jésus nous dit que sûrement, cette fin arrivera mais que nous ne perdrons rien, même pas un seul cheveu de la tête.

Il n'en restera pas pierre sur pierre

La fin, la vraie fin et la bonne fin du monde

Le langage est le même mais le message est tout différent et même à l’opposé. Une conviction traverse cet évangile de part en part : ce que l’homme construit de sa main finira par être détruit. Tout ce qu’il construit, y compris ce qu’il construit pour résister à la catastrophe finira dans la catastrophe. Tout ce qu’il construit pour lutter contre la fin du monde, finira dans la fin du monde. Le temple s’écroulera, il n’en restera pas pierre sur pierre. De là, il faut tirer au moins quelques directives d’action.

La première, prendre conscience que tout est fragile, c’est s’engager à protéger justement ce qui est fragile. D’où le sens du travail humble que saint Paul rappelle dans la première lecture. Ce à quoi nous sommes appelés devant les catastrophes de nos temps n’est ni au pessimisme, ni à l’optimisme. D’ailleurs vous savez comme moi que l’optimisme, c’est quand tout va mal et qu’on vous dit de serrer les dents. Ce qui nous est demandé, c’est la fidélité, la fidélité à l’action humble qui va jusqu’à s’occuper comme Dieu, des cheveux, c’est-à-dire de ce que l’homme laisserait volontiers périr si on lui annonçait que la fin du monde c’était demain. Il semble que le pape François a décrété le 33e dimanche du temps ordinaire comme « dimanche des pauvres ». Dieu sait que je déteste ces « dimanches à thème » qui étouffent le calendrier liturgique. Mais là, je dois avouer que ça tombe bien.

Nous ne sommes pas appelés à l’admiration de ce qui est solide comme les pierres du temple : cela s’appelle, s’affairer sans rien faire. Rien ne nous interdit de les admirer mais nous devons prendre conscience qu’elles n’ont de solidité qu’en apparence. Nous sommes invités à une conversion, à tourner le regard vers l’homme blessé sur le chemin de Jérico (il ne faut pas oublier que dans l’histoire du Bon Samaritain, c’est à cause du service du même temple que ni le prêtre ni le lévite ne se sont arrêtés). C’est vers ce qui, pour les hommes, n’a aucune solidité, qui ne triomphe pas, qui meurt sur la croix… bref, les « cheveux »… la terre peut trembler, c’est vers cela que nous sommes envoyés.

Fuir ou désirer la fin : that’s the thing

Et c’est cela seul qui pourra nous préparer à la véritable fin du monde. C’est seulement la fidélité banale du quotidien qui peut nous faire appeler la véritable fin de ce monde. Et même nous la faire désirer. Là est l’autre différence avec « nos fins du monde ». Elles nous font peur, les imaginer nous fait trembler jusqu’aux os. « La fin du monde », elle, elle est belle et se fait désirer, se fait appeler ardemment. Vous trouvez peut-être choquant de dire que nous la désirons, la véritable fin du monde. Je vous choquerai donc davantage en vous disant qu’en réalité, c’est ce que nous demandons à chaque messe, à chaque eucharistie.

Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus
Nous célébrons ta résurrection
Nous attendons ta venue dans la gloire.

(Que les inconditionnels de la nouvelle traduction se calment). Notez bien le dernier vers de ce triptyque que nous répétons joyeusement à l’eucharistie. Les chrétiens, cette race bizarre d’hommes que la terre ait jamais portée, attendent le retour de leur Seigneur, c’est-à-dire la fin du monde, dans la joie. Et comme si ça ne suffisait pas à l’anamnèse, ils reprennent la demande dans l’embolisme (après le Notre Père). Qui sait : Dieu pourrait avoir raté qu’ils attendent impatiemment la fin.

Mais pensez-y un instant : cette fin, ce retour sont désirables parce qu’elle mettra fin à nos fins et à la peur qui les accompagne. Cette fin-là sera la rédemption des cheveux, c’est-à-dire de tout cela qui ne compte pas. C’est pour cela que les chrétiens la désirent : elle mettra fin à ce monde et à ses catastrophes toujours recommencées et instaurera un ciel nouveau et une terre nouvelle. Cette autre fin du monde qui n’est pas une catastrophe mais une bonne nouvelle. C’est peut-être dans ce sens là qu’il faut comprendre l’expression « le monde qui n’aura pas de fin ». Il n’y aura plus de ces fins qui nous inquiètent et nous angoissent inutilement. Parce que nous aurons compris pour de bon que ces « fins » pour terribles et terrifiantes qu’ils soient, ne sont jamais la fin. Et dans ce sens, il suffit d’y croire, la fin a déjà eu lieu et le monde sans fin a déjà commencé. Bref, dès que vous ne vous laissez plus inquiéter par toutes ces chutes de temples, par tous ces événements-candidats à la fin du monde, pour vous, un monde nouveau a déjà commencé. Même vos cheveux sont en sécurité.

1 Comment

  1. J’ai du mal avec cette dernière partie de l’évangile de Luc 21, 5-19, ( pour ne pas dire j’aime pas cette partie de l’évangile ! Il aurait pu le formuler autrement … mais bon, tout est toujours question d’interprétation ), car elle sert souvent de base arrière pour « beaucoup », qui, se prétendent être les envoyés des derniers temps, envoyés « sous ‘son’ nom », créent des sectes, profitent de la peur, de la confusion entre la fin du monde et la fin de nos mondes, et perdent nos amis, voisins, parents. Une fois dans les sectes idéologiques et ‘ perverses’, c’est notamment ‘cette partie’ d’évangile qui les fortifie et leur donne une certitude quasi kamikaze….
    Et malheureusement quand on essaie de discuter, de proposer une perspective différente, cela ne fait que renforcer ‘ leurs croyances’, puisqu’il est écrit « vous serez livrés même par vos parents, (…). Vous serez détestez de tous, à cause de mon nom. (…). C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie ». Et ils/elles persévèrent. Avec acharnements …
    Et l’on se consume, impuissant, à les voir s’en aller, loin, tout en étant là …

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