– Jn 2.4.11.20

Vous le savez peut-être (ou pas), à Cana, il y avait plus que les noces. Et les deux miracles de Cana (car il y en a deux!) résument dans leur tension, je pense, l’ensemble de l’évangile de Jean. Ils décrivent la foi de deux générations distinctes de disciples : ceux dont Jean parle et ceux à qui il parle. Les premiers ont vu le Christ de leurs yeux. Les seconds liront son œuvre parce qu’ils n’auront pas eu le privilège de l’avoir vu.

Aux uns, Jésus dit venez et voyez (chap. 1). Et ils vont aux noces de Cana, ils voient et croient. Aux autres, Jésus adresse une béatitude (la seule que l’on trouve chez Jean) : Heureux ceux qui croient sans avoir vu. Cette béatitude, bien qu’elle soit adressée à l’apôtre Thomas, ne le concerne pas lui-même. Thomas ne fait pas partie de ceux qui croiront sans avoir vu. Au contraire, comme les autres apôtres, il a vu ce qu’il voulait voir. Thomas nous a value la béatitude mais il appartient lui-même à la première génération.

C’est plutôt, bien avant lui, le fonctionnaire royal venu supplier Jésus pour son fils mourant (2e miracle de Cana, chap. 4) qui représente ceux qui ne verront pas mais croiront. Jésus lui répond : “Si vous ne voyez pas de signes, vous ne croirez donc pas!” Et, pour l’aider à croire sans avoir vu, il le renvoie, l’assurant de tout le contraire de ce qu’il avait vu de ses yeux, savoir que son fils n’est pas mourant mais vivant, guéri. Et lui, au lieu de crier à la blague ou au scandale, s’en va, croyant sans l’évidence (du latin videre, voir). Croyant sans avoir vu, il finit par voir ce qu’il avait d’abord cru.

Le va-et-vient entre ces deux générations de croyants, leur mélange instable, atteint son paroxysme à la résurrection, au chap. 20, dans une sorte de jeu de l’aveugle autour du tombeau. Au tombeau, le disciple aimé vit et crut. Pierre vit également puis… rien. Marie-Madeleine voit et n’en croit pas ses yeux ; ceux-ci ne s’ouvrent qu’après ses oreilles et elle voit et croit. Thomas n’a pas vu et ne croit pas – et ensuite voit et croit. Puis, de ce remue-ménage, de cette bagarre autour du désir de la première génération de voir coûte que coûte, naît la béatitude en forme d’avertissement pour la génération à venir : Croirez-vous sans avoir vu ou ferez-vous comme eux au risque de vous décevoir ?

Mais le mot de l’énigme était déjà donné aux deux miracles de Cana : soit la vision vient avant la foi, soit la vision vient après la foi (le fonctionnaire ne vérifie qu’après coup). Les premiers ont d’abord vu et ont cru ensuite (ou pas). Les seconds croiront d’abord et verront seulement ensuite. C’est la promesse qui leur est faite, en effet, glissée au beau milieu de l’évangile dans l’adresse à Marthe : Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu (chap. 11). Deuxième génération, crois donc d’abord, tu verras ensuite.

Vous êtes donc forcément deuxième. Mais inutile de dire que dans ce jeu de places à Cana, j’aurais bien voulu être du côté des premiers, rien que pour le bonus qu’ils avaient eu…

Tags:

4 Comments

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *