Vous connaissez peut-être un de ces quatre livres. L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine de Ruwen Ogien. Ou : Minimal Theologies de Hent de Vries. Ou encore : Réussir sa mort : anti-méthode pour vivre de Fabrice Hadjadj. Ou: Small is beautiful de Ernst Schumacher. Si vous les mettez ensemble, vous arrivez à fonder quelque chose comme une foi en mode mineur. Voilà.

La foi que je n’aime pas

Je n’aime pas ceux qui ont une foi trop grande, capable de transporter les montagnes. Ceux qui ne jurent que par la foi. Quand vous vous retrouvez par malheur auprès de gens comme ceux-là, vous vous sentez comme un nain spirituel. C’est le lot d’un certain nombre de prédicateurs qui peuplent nos rues. Vous avez un problème, ils vous disent de prier. Ça marche ? Alleluia. Mais… ça ne marche pas ? « Ma sœur, ayez la foi », vous disent-ils. Et pourtant, vous pensez quand même en avoir, de la foi, au moins un peu. « Non, ma sœur, il faut croire davantage, si vous croyez vraiment, etc… » Et si ça ne marche toujours pas, vous commencez à vous dire que, peut-être, vous n’appartenez pas au lot des élus. Soit vous culpabilisez de ne pas avoir assez de foi, soit vous baissez les bras et vous laissez tomber le peu que vous aviez jusque là.

Alors, oui, je n’aime pas ceux qui ont une foi trop grande, trop démonstrative. Et Saint Paul me rassure qui écrit : « j’aurais beau avoir toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien. » (1Co 13,2) Autrement dit, la foi, on n’a pas besoin d’en avoir à transporter les montagnes ! Et l’évangile d’aujourd’hui me rassure encore plus. Car Jésus dit que nous devrions avoir une foi petite, que la plus grande foi dont nous devrions rêver devrait être aussi petite qu’une graine de moutarde. Ça me rassure, une foi petite qui est consciente d’être en route, qui tombe et se relève, qui avance comme il peut, qui n’a pas tout mais laisse encore la place ouverte pour être comblée.

influenceur

Les prédicateurs du capitalisme

Mais le problème de notre monde actuel, c’est que ceux qui vous culpabilisent de ne pas avoir assez de foi sont devenus nombreux. Ce ne sont plus seulement les prédicateurs de la Bible, c’est aussi les prédicateurs de l’économie, toute cette cohorte de « motivateurs », d’influenceurs et -ceuses, qui proclament la bonne nouvelle du capitalisme. Il semble, en effet, que nous soyions tous faits pour réussir (réussite est entendue ici d’une façon très précise), c’est-à-dire, pour avoir notre part dans le capitalisme de casino. Nos modèles sont Elon Musk, Jeff Bezos et d’autres encore à une plus ou moins grande échelle. Et l’évangile selon Bill Gates ne cesse de proclamer : qu’il faut croire en soi-même. Qu’il faut non seulement avoir la volonté, non seulement travailler mais surtout y croire, très fort, très grand, très puissamment. Alors, on finit par réussir (dans le sens indiqué ci-haut). L’évangile d’aujourd’hui est une grosse objection à cette surenchère de la foi. Mais avant d’y arriver, le bon sens nous en prévient. À un ami qui lui tenait ce discours convenu, l’écrivain anglais Chesterton faisait remarquer déjà à son époque :

Si, au lieu de votre affreuse philosophie individualiste, vous vous fiiez à votre expérience d’homme d’affaires, vous sauriez que croire en soi est le dénominateur commun des ratés. Des acteurs qui ne savent pas jouer croient en eux-mêmes. Et ainsi des débiteurs insolvables. Il serait plus judicieux d’affirmer qu’un homme qui croit en lui-même, va droit à l’échec. Une auto-assurance totale n’est pas simplement une faute : c’est une faiblesse. Se faire absolument confiance est une croyance aussi hystérique et superstitieuse que croire en Joanna Southcote.

dans Orthodoxy, chap. 1

Pour Chesterton, croire en soi-même de façon illimitée, c’est devenir sa propre idole, son propre dieu et son propre adorateur, son propre maître et son propre esclave. C’est être fou. Il y a une immense foule de personnes qui y croient tellement fort qu’ils finissent pas être broyés par le travail, écrasés par la vie.

Au fond, la vérité que cache ce discours, c’est que, à part quelques exceptions, ceux qui « réussissent » ne sont pas souvent ceux qui travaillent le plus dur. C’est ceux qui, comme dit le phrasé habituel, ceux qui ont su saisir une « opportunité ». C’est des opportunistes. Le couple d’anthropologues John et Jean Comaroff n’hésitent même pas à les nommer les escrocs. Vous avez plus de chances de « réussir » si vous naissez dans certains quartiers ou villes du monde, si vous avez un oncle qui est banquier ou déjà homme d’affaire (qui vous glisse deux marchés parallèles ici et là), y croire ou ne pas y croire n’y change que peu de choses.

Maître et serviteur

Fast forward : le lavement des pieds

Alors la foi, dit Jésus, il vaut mieux ne pas l’avoir trop grande. Comme une graine de moutarde, c’est déjà trop. Voilà ce que j’entends aussi dans l’évangile de ce dimanche. Et c’est comme ça, me semble-t-il, qu’il faut aussi lire l’évangile d’aujourd’hui. Les disciples veulent une foi plus grande, plus grosse, plus grasse. Face à la question, Jésus, comme à son habitude, botte en touche. Ce qu’il faut, ce n’est pas une foi grosse de sa certitude, c’est une foi petite comme un grain de sénevé.

Mais pour y arriver, il faut prendre la question par l’autre bout. Par la fin de l’évangile. Car Jésus répond à la demande des disciples par une question, la question que l’on entend à la fin : Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Lequel ? Parmi nous, sûrement personne ne ferait ça. Votre patron, tout en haut de l’échelle, vous donnera peut-être un congé ou une prime si vous êtes un bon travailleur. Il ne viendra pas vous dire, en vous tapant sur l’épaule : « non mais, vraiment, je vous admire. Allez prendre ma place dans mon bureau pour que je prenne votre place pour vous apporter le café tous les matins pendant toute la semaine prochaine… »

Donc, oui : Lequel… ? Nous devrions répondre : « Seigneur, personne d’entre nous ne fait ce genre de choses. » Mais nous devrions ajouter : « cela, personne d’entre nous ne le fait, sauf toi. Car toi seul fais des choses aussi insensées. » Car, si nous lisons l’évangile jusqu’à la fin, nous découvrons effectivement que la veille de la passion, Jésus lave les pieds à ses disciples. Lui le maître, il fait asseoir ses serviteurs, se met la ceinture aux reins, leur lave les pieds et leur sert la sainte cène, le repas d’éternité. Qui d’entre vous… ? Personne, c’est clair. Sauf toi, Seigneur qui nous fait asseoir et te mets à notre service.

Le serviteur qui ne « réussit » pas.

Si nous lisons ainsi à partir de la question de Jésus et de la réponse qu’il y apporte par sa vie, nous comprendrons qu’il n’est pas difficile d’agir en serviteurs inutiles. Car la récompense pour notre labeur n’est plus devant nous, elle est derrière nous : Jésus nous a, déjà, lavé les pieds. La récompense n’est pas à venir, elle est déjà advenue : Jésus nous a, déjà, nourri. Nous ne travaillons plus en vue d’être récompensés : il nous a déjà récompensé par la grâce du salut. Jésus est le genre de patron qui vous paie avant le travail (rappelez-vous l’histoire des ouvriers de la onzième heure), qui vous paie sans travail. Ce que nous faisons ensuite n’attend donc plus aucune reconnaissance. Au contraire, elle naît de la reconnaissance. Cela nous met dans la posture de ceux qui ne croient pas pour aller au ciel, pour « réussir », mais de ceux qui possèdent déjà le ciel, n’attendent plus rien mais prennent les biens du ciel pour les répandre gratuitement sur la terre, sur les autres. Voir la vie dans ce sens est très libératrice.

Car c’est une chose connue que nous attendons tous la reconnaissance de ceux qui nous entourent et que ça nous rend parfois malade et dépendants du regard des autres. Attendre la reconnaissance est une chose qui peut ruiner notre vie. En tant qu’humains, nous avons besoin qu’on nous gratifie, qu’on nous reconnaisse. Nous avons besoin d’exister dans le regard des autres. Cela n’est pas mauvais en soi. Mais ça peut nous rendre dépendants et nous sommes très mal le jour où cette reconnaissance fait défaut. C’est la maladie de nombreux adolescents dans le monde aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Ils postent des images d’eux-mêmes et veulent se faire accepter, se faire aimer, se faire apprécier de leurs amis. Et le jour où ça s’arrête, ils ont l’impression de ne plus exister, d’être devenu un rien et certains (beaucoup) se suicident. Dans ce sens, quelqu’un qui a la récompense déjà derrière lui, quelqu’un qui n’attend plus aucune reconnaissance est une personne libérée.

Qu’est-ce que la foi ?

Et, finalement, c’est peut-être cela la foi. Et c’est pourquoi il n’y a pas besoin d’en avoir une grosse. Grande comme une graine de moutarde, c’est déjà beaucoup trop, semble dire Jésus. Avec une foi aussi grande, vous ne faites plus que des choses spectaculaires ou même catastrophiques comme envoyer une montagne ou un arbre dans la mer. Pourquoi ? Pour montrer que vous êtes puissant ? Pour montrer que vous être le préféré de Dieu ? Pour provoquer un tsunami ? Pour être reconnu, acclamé et célébré ? Non. Je pense que ni Jésus ni Paul n’étaient enthousiasmés par l’idée d’envoyer une montagne dans la mer. Une foi trop grande peut tomber rapidement dans le spectacle. C’est pourquoi il faut l’avoir petite, si possible plus petite qu’une graine de moutarde.

La graine de moutarde sénevé

Car la foi est avant tout ce qui nous libère du désir d’être reconnu, du désir d’être acclamé, du désir d’être applaudi. C’est l’appel que Jésus nous adresse encore et encore, par exemple, dans l’évangile qui ouvre le carême chaque année : si tu donnes l’aumône, ne le fais pas devant les hommes. Si ta foi est tellement grande qu’elle tombe dans le spectacle, ton Père qui aime plutôt le secret ne peut plus rien faire pour toi. Alors, la foi, ayons la petite. Comme une graine de moutarde. Et peut-être plus petite encore. Ça nous aide à accepter, puisque la foi est petite, que parfois elle ne fonctionne pas et ainsi à se réconcilier avec ses propres limites. C’est la façon de ne pas attraper la grosse tête, de se dire serviteur inutile, de faire une place les uns aux autres pour nous aider et nous soutenir mutuellement à grandir dans la foi, de faire une place parmi nous à ceux qui n’en n’ont pas beaucoup, n’en ont pas du tout ou n’en ont que très peu… Bref, afin de continuer à être une Eglise humble, accueillante et ouverte.

Donc oui, je n’aime pas ceux qui ont une foi trop grande. Ou, pour le dire de façon plus positive (n’est-ce pas qu’il faut, comme disent les prédicateurs, rester positifs, etc. etc.)… Alors essayons d’être positifs: non pas que je n’aime pas ceux qui ont une foi trop grande mais je préfère la compagnie de ceux qui ont une foi petite. Qui ne l’imposent pas. Qui savent faire la place à ceux qui cheminent, qui doutent, qui cherchent. Cette foi que le fait d’envoyer les montagnes dans la mer n’intéresse pas et qui trouve sa joie dans les petites gens et les petites choses… pas plus grandes que la graine de moutarde.

3 Comments

  1. En lisant ce texte, j’ai tout de suite penser à ce verset de la Bible :
    « Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra. »(Mt6,6)

    Pouvons nous avoir à ce moment précis une foi à faire déplacer des montagnes dans le secret de son intimité avec notre Seigneur ?

  2. Caro Leo,

    Nella di Dio il capitalismo trova sempre un credo più che una Fede.
    Nella terra santa anche li il capitalismo trova una scusa senza chiedere a Dio il permesso per uccidere.

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