Dans les évangiles, la discrétion de Joseph confine presque à une absence ou à un oubli. Et cela se ressent fortement jusque dans la liturgie. Depuis le premier dimanche de l’avent, nous voyons défiler les figures qui seront autour de Jésus : Marie, Jean Baptiste mais c’est à peine s’il est question de Joseph. Après le portrait de Jean-Baptiste, voici Joseph.
Le rêve de Joseph
L’extrait de Matthieu lu en ce dernier dimanche de l’avent se rattrape et, en réalité, Matthieu est le seul à nous parler de Joseph avec quelque détail : dans sa généalogie de Jésus, dans le songe qu’il nous raconte aujourd’hui, dans le songe de la fuite en Égypte et dans celui du retour d’Égypte. Joseph apparaît ainsi chez Matthieu comme l’homme du rêve. Et en cela, il rappellera bien évidemment l’autre Joseph de la Bible, fils de Jacob lui aussi, qui fut aussi un homme de rêves. Les Joseph seraient-ils les hommes du songe ?
Mais : de quoi rêvait-il donc, le Joseph de Marie ? De toute évidence, le rêve de Joseph n’est pas celui que raconte Matthieu. Matthieu raconte un tout autre rêve que le véritable rêve de Joseph. Car Joseph, l’homme juste, droit, honnête et laborieux, rêvait sûrement de ce dont rêve tous les honnêtes hommes : réussir sa vie, sa profession, se construire une maison, une petite vie de couple avec la femme qu’il aimait, une petite famille, élever ses enfants… vivre à l’abri du besoin, son rêve n’était sans doute pas plus grand que celui là. Comme les rêves de la plupart des humbles du monde.
Le rêve de Dieu
Mais ne voilà-t-il pas qu’au beau milieu de ce projet tranquille, de ce rêve modeste, Dieu fait irruption et commence à rêver pour lui, d’une façon à mille lieues de ce qu’il aurait jamais pu imaginer ? Oui, dans le rêve tout simple de Joseph vient se glisser le Rêve de Dieu, projet curieux : rêve d’une paternité étrange, d’une paternité qui ne viendrait pas vraiment de lui, une paternité à laquelle il doit cependant donner un nom et une protection. Dieu vient – il est quand même bien culotté, ce Dieu ! –, il vient rêver pour lui d’une femme dont tout le monde se moque parce qu’elle serait enceinte d’une relation extraconjugale (on soupçonnera plus tard Jésus d’être un fils illégitime, Jn 8,41). Dieu vient rêver pour Joseph d’un fils né de l’Esprit saint à qui il doit donner un nom que personne jamais n’a porté dans sa lignée et qui est tout sauf modeste puisque ce nom veut dire que cet enfant sauvera tous les hommes (imaginez les critiques de ses amis, de ses parents et quelques années plus tard quand Jésus viendra à Nazareth…).
Et ce n’est pas fini ! Dieu rêve pour Joseph de mille choses encore : Dieu rêve que cet enfant naisse à près de 150km du domicile, pas dans une clinique prévue à cet effet, mais dans un hôtel à une étoile que squattent un âne, un bœuf et trois brebis ; que les premières félicitations viendront non pas des parents et des amis, mais de pauvres bergers et de quelques mages venus de quelque coin de la terre. Joseph ne s’imagine pas encore – mais Dieu en rêve pour lui – que cette terre deviendra hostile et qu’il lui faudra partir en Égypte et qu’il en reviendra, etc. etc. etc.
Le cauchemar des vocations
Joseph ne connaît encore que le dixième de ce dont Dieu rêve pour lui. Et, chose normale, ce petit dixième qu’il entrevoit lui fait peur. Il n’en veut pas. Un rêve dans un rêve, ça peut devenir vite un cauchemar, avec obligation de se réveiller deux fois, de se pincer trois fois, l’air hagard sur ce qui vous arrive. Joseph ne sait donc pas quoi penser de toute cette histoire.
C’est ainsi lorsque Dieu commence à rêver pour vous. Vous perdez pied. Vous avez envie de démissionner. Comme Pierre qui, après la pêche miraculeuse, dit à Jésus: “éloigne-toi de moi.” C’est-à-dire: “ton rêve est trop grand et moi je suis trop nul.” Comme Moïse qui, au buisson ardent, dit à Dieu: “Non, Seigneur. Ton rêve est beau mais ton homme, ce n’est pas moi.” Ou Jérémie qui dira, avec une phrase qu’on traduit toujours mal et dont la mauvaise traduction fait la joie de certaines consacrées : “Tu m’as eu Seigneur et je me suis laissé avoir” (c’est ce que veut dire le fameux séduire dans ce contexte).
Malgré ce qu’en racontent ceux qui se disent appelés, toute vocation est en réalité une terreur. Et la première réaction n’est pas la joie d’être appelé mais le tremblement devant la mission. Joseph recule donc et essaie juste d’en sortir de façon respectable : en ne dénonçant pas son épouse, il en fait déjà beaucoup. C’est comme s’il disait à Dieu, « ce rêve est trop grand pour moi, je te donne un petit coup de main et, s’il te plaît, on n’en parle plus… Tu es assez grand pour te débrouiller seul » !
Dans la première lecture c’est ce qui arrive aussi : Achaz est menacé par les armées de ses voisins. Dans sa tête, tout est planifié : il a son projet à lui, il va lever une armée, faire appel au renfort de ses alliés et aller au combat. Alors quand Isaïe vient lui dire de demander une chose au Seigneur, d’entrer dans le rêve de Dieu, songeur, il préfère laisser le Seigneur à son compte et plutôt suivre son propre sentier qu’accepter ce chemin imprévu.
En attendant le réveil
Mais comme dans tous les cas que je viens de citer, Dieu ne lâche pas l’affaire, il insiste ! Et, dans le cas de Joseph, c’est alors qu’a lieu le rêve que Matthieu nous raconte aujourd’hui. Dieu vient lui dire de ne pas avoir peur, d’élargir son « petit » rêve pour le faire entrer dans le Rêve de Dieu. Mais quand on en arrive à cet endroit du texte, il faut retenir son souffle. Par un artifice littéraire bien senti, saint Matthieu nous fait voir Joseph dans son rêve, nous vivons donc le rêve seconde par seconde et nous ne savons pas ce que va faire Joseph à son réveil. Quand il se réveillera, fera-t-il ce que le Seigneur lui a dit ou bien réduira-t-il cet appel à la banalité des folies qui entraînent les hommes à leur perte ? Joseph osera-t-il entrer dans le Rêve de Dieu ? Prendra-t-il le risque que Dieu lui propose, que les faits lui interdisent et que son entourage jugera très sévèrement ? Osera-t-il croire au Rêve de Dieu, au bonheur qu’il lui propose ?
Imaginez donc que Joseph est encore dans son sommeil, qu’il n’est pas encore levé et, maintenant, imaginez que Joseph, c’est vous et moi. Si Joseph, c’est vous, si Joseph c’est moi, oserons-nous laisser dilater notre propre rêve aux dimensions du Rêve de Dieu pour nous ? Les rêves humains ont le grave défaut de se renfermer sur eux-mêmes, de ne trouver leur signification qu’à travers la lorgnette d’un nombril, de vouloir s’assurer l’avenir à peu de frais, de planifier, organiser, anticiper et de finir par vivre le succès comme un mérite et l’incertitude comme un échec. C’est cela que les rêves divins viennent bousculer.
Gardien du rêve de Dieu
Nos rêves sont souvent de petits rêves, des rêves préformatés et confortables, des rêves de ceux qui savent dans quelle direction il faut aller. La question ici rejoint une discussion que j’avais avec une amie le dimanche dernier: le capitalisme globalisé, après avoir fait de chacun de nous de petits consommateurs avides de leur bien-être nous a enlevé (partout sur terre) le désir de nous battre pour des causes plus grandes. Au contraire, il a réussi à nous transformer en petits gestionnaires de nos petits avantages, de notre micro-bien-être, nous interdisant même bien souvent de voir au-delà. (Une question sur laquelle il faudra revenir un jour ici).
Rêver avec Dieu, c’est tout le contraire. Rêver avec Dieu, c’est ne pas savoir où on va mais faire confiance, c’est ne pas connaître l’avenir ou savoir quel plan exécuter pour avoir tel avenir précis mais s’y engager. Quand Joseph a dit oui, il ne savait pas que l’enfant naîtra dans une étable à mille lieues de la maison, qu’il devrait s’enfuir avec lui en Egypte et qu’il se fera tuer à trente ans.
Et pour rassurer, il est bon de rappeler que le Rêve de Dieu ne vient pas effacer les rêves humains. Il vient s’y insérer – et inversement, faisant de Joseph, faisant des hommes qui acceptent ce pari, des gardiens du Rêve de Dieu. Toute vocation, à l’instar de celle qui appelle ici Joseph, est une convocation à faire entrer un rêve dans un autre, afin d’y trouver sa véritable signification. Ouvrir sa vie sur le Rêve de Dieu, c’est l’ouvrir sur un avenir certes incertain, mais qui devient une certitude solide par l’acte de foi qu’on y associe.
Cela s’entend même jusque dans la nature du Rêve que Joseph doit garder : une mère et un enfant, c’est la figure même de la vie, la promesse d’un futur ouvert, comme dirait Hannah Arendt. Alors ? – Alors, « Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit ». Il prit chez lui la mère et l’enfant. Alors ?
Rêver avec Dieu, c’est ne rien savoir de l’avenir et pourtant le regarder avec sourire parce que Dieu nous y précède et nous y attend. C’est pour cela peut-être que Dieu, chaque année, devient un enfant. Car rêver avec Dieu, c’est comme voir un enfant, ne pas savoir s’il sera gangster ou président, et pourtant trouver son bonheur dans le sourire qu’il nous offre. Alors ? Alors, rêver avec Dieu, c’est comme garder un enfant avec joie sans savoir ce qu’il deviendra. Voilà Joseph, voilà Noël.
Une approche du rêve dans le rêve qui fait rêver, et par le style, et par les images illustratives. Bravo et merci cher Léonard.
Voilà!’
Who is right ? Caro amico Leonard .. it is about the Holy Spirit the giver of life?
I think so ! Your homely article are always deeper n deeper… like the Holy Spirit that guided Maria n consequently Joseph .. you are always punctual in let the spirit to glorify your explication .. grazie
Voilà!’
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I think so ! Your homely article are always deeper n deeper… like the Holy Spirit that guided Maria n consequently Joseph .. you are always punctual in let the spirit to glorify your explication .. grazie
Très super padre . Merci pour cette nourriture spirituelle.. rêver avec Dieu c’est ne rien savoir avec l’avenir et pourtant le regarder avec sourire parce que Dieu nous y précède et nous y attend….. profond….