Les deux grandes images de l’avent sont la grossesse et la plante. Et les deux invitent aux vertus que l’on trouve dans les lectures de ce dimanche qui se résument à ceci : réjouissez-vous et soyez patients. Ou plutôt et dans l’ordre que je préfère, soyez patients et réjouissez-vous. Il faut lire l’évangile d’aujourd’hui à la lumière de la deuxième lecture.

Sagesse des paysans

Saint Jacques dans son épitre recommande d’être patients dans l’attente de la venue du Seigneur. Mais il ne recommande pas seulement la patience, mais il invite à la patience du cultivateur, et c’est cela que je trouve intéressant : être patient comme un cultivateur.

Les cultures urbaines finissent souvent par n’y plus rien comprendre. Et il est probable que ceux à qui Jacques écrit vivaient dans des villes – comme d’ailleurs ceux à qui St Paul écrivait. Mais on a remarqué par exemple que St Paul préfère, à l’inverse de l’évangile qui utilise aussi abondamment des métaphores paysannes (la graine de moutarde, le semeur, le bon grain et l’ivraie, etc.), St Paul préfère utiliser des images urbaines pour parler aux citadins (courses du stade, les combats de l’arène, etc.).

les fruits ne poussent pas sur les étalages

St Jacques fait autrement : il oblige ses chers citadins à retourner au village, à retourner à l’école des paysans pour comprendre ce qu’il leur annonce. C’est en cela que c’est l’un de mes passages bibliques préférés. Dans une culture urbaine (puisque, disait Jacques Ellul, la ville ne produit rien de ce qui la nourrit : elle est comme un grand trou où l’on dévore la vie mais où on ne la suscite pas), dans une culture urbaine donc, l’on s’habitude à voir pousser les carottes et les oranges non pas dans la terre mais sur les étalages ; on en vient même à oublier comment poussent les maniocs et autres pommes de terre à force de les voir arriver dans des cartons. On est alors moins enclins à comprendre la sagesse des cultivateurs et c’est cela que Jacques enjoint à ses chers fidèles d’aller réapprendre.

La terre, la ville et l’impatience

Pourquoi ? Parce que la culture urbaine non seulement ignore tout cela mais, en plus, elle éduque à l’impatience. On y veut des tomates en toute saison, des fraises toute l’année et des poivrons douze mois sur douze. L’impatience semble venir du fait qu’on y perd contact avec la terre : c’est ce que Saint Jacques semble nous dire dans la deuxième lecture.

Ne soyons pas trop manichéens. Car cette culture urbaine peut gagner la campagne en retour et y planter la graine de l’impatience. Alors on met des engrais pour que les plantes poussent plus rapidement, des pesticides pour qu’elles vivent plus longtemps, etc. Et c’est souvent sous la pression de la ville qui en veut toujours plus et plus vite. Ne portons pas ici de jugement de valeur. Contentons-nous de constater que tout cela traduit l’impatience des hommes et femmes modernes (mais qu’est-ce qu’un moderne qui ne vit pas en ville?) devant le rythme de la création, devant le rythme de la nature et j’irai plus loin en disant que nous sommes aussi impatients devant le rythme de Dieu.

L’exaspération de l’attente

Dans l’évangile, c’est ce qui arrive à Jean dans le fond de sa cellule : lorsqu’il se retrouve enfermé dans une prison pour avoir certes osé dire la vérité, Jean perd la patience qu’il a lui-même annoncée auparavant. Le rythme de Dieu semble soudain trop se ralentir à ses yeux ; alors il envoie une délégation dire à Jésus : écoute, si c’est toi fais quelque chose et si ce n’est pas toi, fais de la place pour que Celui-là vienne ; « on n’a pas du temps à perdre », semble-t-il faire dire à Jésus.

La joie des choses simples

Alors, Jésus envoie l’inviter à rentrer dans le rythme de Dieu qui est peut-être un rythme lent mais qui fait chaque chose en son temps : les boiteux marchent, les aveugles voient, la bonne nouvelle est aux pauvres… pour le moment, ça devrait suffire. L’heure viendra où il faudra peut-être faire plus mais il faut laisser venir cette heure-là. Dieu aurait pu créer le monde en une heure de temps. Il aurait pu faire en sorte que le ciel, la terre, les étoiles, les animaux et l’homme soient en même temps. Ce n’est pas parce qu’il est fainéant qu’il en a mis six pour y parvenir et il a pris le temps chaque fois de se réjouir d’une étape et de la suivante : et Dieu vit que cela était bon ! Et il était heureux devant l’amibe et le scorpion… avant de passer à l’étape suivante et de s’en réjouir tout autant.

Dieu et les paysans : le secret de la joie

En réalité, dans l’évangile, Jésus envoie dire à Jean que Dieu agit, mais non pas de façon éclatante comme il l’espère mais en posant un pas après l’autre. Dieu agit comme celui qui a de grands desseins mais qui commence par les réaliser de façon patiente. Il agit comme un cultivateur qui sème patiemment le grain, qui est content de le voir lever en de petits plants, qui est content à nouveau lorsqu’ils fleurissent, qui est heureux de les voir porter du fruit et qui est comblé lorsqu’il peut moissonner.

Soyez patients comme le cultivateur

Le cultivateur sait mieux que quiconque qu’on ne peut pas moissonner le lendemain du jour où on a semé, que les arbres ne portent pas du fruit juste après les premiers bourgeons de fleurs, ni même automatiquement : il sait qu’on peut avoir de belles fleurs sans avoir du fruit du tout parce qu’une grêle, des insectes peuvent ruiner le projet. C’est pourquoi quand il prend le risque de semer, il est patient, il espère et il attend et il est heureux à chaque étape que l’arbre franchit. Et si jamais, la croissance de l’arbre s’arrête aux fleurs et qu’il n’a pas de fruits ou qu’il n’en a pas assez, c’est encore une marque de la patience du cultivateur de se dire : « la récolte est mauvaise cette année, franchement ! Mais on verra l’année prochaine » et l’année qui suit, c’est encore lui qui malgré l’échec, reprend patiemment les mêmes gestes, les mêmes espérances et les mêmes joies.

Apprendre la joie imparfaite mais vraie

Qu’est-ce que Saint Jacques veut donc nous dire en nous invitant à être patients comme le cultivateur ? Nous rejoignons ici la deuxième recommandation des lectures de ce jour : être patient comme le cultivateur, c’est apprendre à se réjouir. Se réjouir de chaque petit pas que nous arrivons à faire dans la vie. Se réjouir lorsque nous réussissons juste seulement à semer un grain ou seulement à préparer le champ, se réjouir lorsque tombe la pluie sur ce champ et sur ce grain, se réjouir lorsque ce grain germe de la terre, se réjouir lorsqu’il devient un petit arbre plié sous le vent, se réjouir lorsqu’il porte quelques fleurs et éventuellement lorsqu’il porte du fruit que nous pouvons enfin consommer.

Ce qui nous arrive souvent dans la vie et surtout dans notre vie de foi, c’est que nous oublions toutes ces étapes : nous voulons aller du grain au fruit tout de suite, nous semons et nous voulons récolter tout de suite, nous prions et voulons voir l’exaucement illico, nous faisons du bien et nous sommes frustrés de ne pas en recevoir la reconnaissance dans la minute qui suit : et nous manquons d’être heureux pour toutes petites étapes qu’il y a eu entre temps, et nous manquons d’être patients comme le cultivateur. Or, on le sait : ce n’est pas en tirant sur une plante qu’on la fait grandir plus vite, pas plus que ce n’est en tirant un enfant en longueur qu’on lui fera prendre rapidement des années.

l'enfant est le père de l'homme

Dans l’évangile, Jésus invite simplement Jean à ne pas oublier cela. Il l’invite à ne pas attendre le fruit mûr tout de suite, mais à faire attention à toutes les étapes qui vont conduire à cette maturation ; il l’invite à se réjouir pour les aveugles qui voient, les boiteux qui marchent, les sourds qui entendent… Celui qui sait voir sait que ce sont là les signes d’un jubilé qui a donc déjà commencé et sait alors attendre dans l’espérance le jour où il verra, fût-ce après sa mort, se manifester de façon grandiose sur la croix, l’agneau de Dieu qu’il a annoncé.

Soyez patients et réjouissez-vous !

Ce dimanche est appelé le dimanche du Gaudete, le dimanche du réjouissez-vous ! Le Seigneur nous indique dans le modèle de la patience du cultivateur, le secret de l’authieentique joie, de l’émerveillement devant l’amibe et d’autres petites choses, d’autres petites grâces de rien que l’on rate à force de courir derrière les trop éclatantes.

3 Comments

  1. « la récolte est mauvaise cette année, franchement ! Mais on verra l’année prochaine » et l’année qui suit, c’est encore lui qui malgré l’échec, reprend patiemment les mêmes gestes, les mêmes espérances et les mêmes joies.
    Apprendre du cultivateur est très important. Votre commentaire me touche particulièrement. Éternelle impatiente que je suis. Je vais me mettre à l’école du cultivateur. Merci pour ce beau texte.

  2. L impazienza dell uomo il volere tutto e subito.. il poco rispetto per l anziano .. il poco rispetto x Dio la poca fede assale l uomo sempre di più ..eppure stiamo andando verso un futuro di AI ( artificiai intelligence ) .. dove andrà la saggezza del contadino con la sua pazienza nell’ aspettare il raccolto .. anche nell avvento l uomo e ‘impaziente. .. rivolge il volete verso il ricevere piuttosto che il dare a Gesù il rispetto che merita x la sua venuta.

    Grazie per l articolo !
    Dario

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *