Puisque l’évangile vise toujours à tordre le cou à nos conventions, quand il utilise les mêmes mots, comme aujourd’hui, le mot de repos, il faut prendre du recul et se demander ce qu’il veut dire.

L’été s’est maintenant installé. Et absolument tout nous invite à nous reposer : après une année scolaire, les écoliers sont en vacances. À la moitié de l’année civile, les travailleurs prennent aussi des vacances, et la publicité à la télévision n’en finit plus de montrer des plages sans limites respirant le repos et la tranquillité. Même l’évangile s’y met et Jésus invite ses disciples revenus de mission à se retirer à l’écart et à se reposer eux aussi, un peu. Je pense qu’il nous faut distinguer deux types de repos : le repos du travail et le repos de la foi.

Le premier type de repos est celui à quoi nous pensons spontanément quand nous parlons de repos. C’est le repos qui est lié au travail. C’est le repos du weekend. « Je me repose parce que j’ai travaillé et je me repose afin de mieux travailler ». C’est le repos que l’employeur nous impose littéralement parce que ça sert ses affaires. Dans certaines grandes entreprises dans le monde, on a désormais des salles et des département dédiés au repos et au bien-être des employés, on engage des gurus pour les faire méditer parce qu’on a compris qu’il faut faire reposer les travailleurs pour en tirer le maximum de jus de travail. Ce premier type de repos, qui est une bonne chose en soi, j’ai un nom un peu méchant pour le désigner : je l’appelle le repos des vaches à lait. On les fait bien se reposer pour en tirer le maximum de lait et du lait de meilleure qualité. Je ne dis pas que c’est une mauvaise chose mais je voudrais dire qu’il faut distinguer ça d’un second type de repos, celui dont parle l’évangile et les lectures de ce dimanche.

Le deuxième type de repos serait celui où l’employeur vous dit non pas « repose-toi pour revenir travailler un peu plus et un peu mieux », mais celui où il dirait « repose-toi, je vais poursuivre le travail moi-même. Tu peux te reposer parce que je vais t’aider ». C’est à ce type de repos que Jésus invite les disciples dans l’évangile de ce dimanche. Ces derniers sont envoyés en mission. Ils en reviennent enthousiastes. Ils ont fait des choses et des choses. Mais, ce qu’ils ont fait n’est que goute d’eau dans un océan de besoin : la foule se presse, plus nombreuse que jamais. Tout chef d’entreprise un peu sensé aurait proposé aux ouvriers qu’il a sous la main, au moins, de faire des heures supplémentaires pour répondre à la demande. Jésus ne fait pas ainsi. Malgré la demande, malgré le besoin, il invite ses disciples au repos et organise même escapade discrète que la foule finit bientôt par remarquer. Mais plus encore, c’est que lorsque la foule les rattrape, il ne met pas les disciples à contribution. Non, il les met à l’ombre et lui-même, au soleil, dit St Marc, les enseigna longuement. Voilà le second type de repos, le chef qui dit : « repose-toi, je m’occupe du reste ». C’est ce qu’il faut appeler le repos de la foi.

Ces deux types de repos peuvent entrer parfois en conflit. Dans le premier type de repos, notre employeur n’aurait peut-être même pas intérêt que nous venions à la messe le dimanche, mais que nous prenions le temps de dormir pour être en forme le lundi. Et il aurait raison, car la messe nous fait nous lever tôt et nous demande de l’énergie (se préparer, être à l’heure au bus, etc.). Mais à la messe, c’est le second type de repos que nous venons célébrer. Nous venons à Dieu avec le fruit de notre travail, figuré dans le pain et le vin, et nous venons dire à Dieu : Seigneur, j’ai labouré la terre, j’ai planté le grain, j’ai veillé à sa croissance, j’ai moissonné le grain, j’ai pétri la pâte, j’ai cuit le pain, j’ai fait la même chose pour le vin, il y aurait beaucoup plus à faire mais voilà ce que j’ai pu… Et comme aux apôtres, le Seigneur nous dit à nous aussi : reposez-vous, je m’occupe du reste. Et il prend le pain, et pendant que nous sommes assis ou à genou à le regarder faire, il continue le travail et fait de ce pain quelque chose d’inimaginable pour nos limites humaines et d’impossible à faire par la force de nos seuls bras.

Ce second type de repos exige beaucoup de confiance. Il réclame que j’aie un minimum de confiance en celui à qui j’abandonne mon travail, que j’aie confiance qu’il le fera bien et mieux. Ce n’est pas un repos qui nous dit de ne rien faire parce que Dieu fera le travail à notre place. Absolument pas. C’est un repos qui exige que nous fassions d’ailleurs jusqu’au bout ce qui est en notre pouvoir. Et, une fois que nous l’avons fait, à apprendre à nous considérer comme des serviteurs quelconques qui déposent tout ça avec confiance dans les mains de celui qui peut en faire quelque chose de meilleur.

Ce n’est pas un repos qui appellerait à la paresse. C’est un repos qui appelle à planter le grain avec détermination mais à ne pas faire comme si sa croissance dépendait de nous seuls. Ce n’est pas un repos qui répond à la fatigue. C’est un repos qui répond à l’inquiétude. C’est un repos qui n’est pas seulement pour l’été. C’est un repos pour chaque jour de notre vie, pour chaque action de nos journées. Oui, nous ne sommes que des hommes ; oui, nos forces sont limitées ; mais si nous lui faisons assez confiance, il y a quelqu’un qui promet de porter tout cela à son achèvement afin de nous permettre le repos de l’esprit, du corps et de l’âme. C’est cela la foi.

Au milieu du tumulte du monde, nous sommes invités à redécouvrir le sentiment profond de ce repos en Dieu, la confiance en son œuvre, en la bonté de sa création, qui n’est pas un piège dont nous devrions essayer de nous libérer dans l’agitation, mais un témoignage de son amour et de sa providence. Demandons-lui la grâce de savoir comment nous reposer en lui avec confiance, et la grâce que ceux qui n’ont plus cette expérience trouvent le bonheur de s’abandonner entre ses mains et d’y trouver la paix.

3 Comments

  1. Le repos du travail et le repos de la foi. Ça rejoint un de vos commentaires du temps de Carême d’une année précédente quand vous insistiez sur le fait que l’enfant ne grandit pas parce que ses parents l’étireraient à longueur de journée. Sans oublier qu’après avoir préparé la terre et mis le grain en terre, le cultivateur ou le paysan est appelé à aller dormir. Le reste appartient à Dieu. C’est Lui qui donne la croissance. J’ai apprécié ce commentaire ( moins long) et surtout écrit dans un style simple et clair. Je ne sais pas si c’est aussi l’été ou une autre manière de se reposer. Merci beaucoup pour ce commentaire limpide.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *