Un homme se retrouve dans un lieu associé dans l’imaginaire chrétien à l’enfer. Et on ne sait pas trop quelle est sa faute… L’évangile de ce 26e dimanche du temps ordinaire a quelque chose de dérangeant.

L’enfer comme possibilité

D’abord, il nous parle sans détour du ciel et de l’enfer. Deux réalités que nous, chrétiens modernes, c’est-à-dire ceux a qui on ne la fait plus, nous avons du mal à prendre au sérieux. Nous avons tendance à croire qu’il s’agissait là de je ne sais qu’elle trappe habile par laquelle on enfermait les gens du moyen-âge dans la peur. Et puisque, la chose est sue, nous ne sommes plus au moyen âge – et Dieu doit bien rire en nous entendant dire ça à haute voix – puisque donc nous ne sommes plus au moyen âge, le ciel et l’enfer seraient à ranger au placard.

Certes l’évangile d’aujourd’hui est une parabole et il ne faut pas s’arrêter à la surface des choses. Certes, il peut y avoir un mauvais usage de l’enfer, surtout dans la prédication pour ceux qui prétendraient savoir avec exactitude où il se trouve, combien y sont et surtout qui y est. Mais quand même, les choses sont si clairement dites dans l’évangile d’aujourd’hui qu’il faudrait tomber sur la tête pour éviter de les entendre.

Si vous pensez à l’enfer comme à une chose que Dieu a créée, alors oui vous avez toutes les raisons de vous insurger contre lui, de le considérer comme une des dernières bigoteries dont l’Église devrait se défaire. Mais logiquement, Dieu ne peut pas avoir créé l’enfer ; c’est au pouvoir de l’homme de le créer ! C’est la seule chose d’ailleurs qu’il pourrait capable de créer, à partir de rien. Tout le reste de ce qu’il crée, il le crée à partir de ce que Dieu a fait. Même les plus beaux fruits de l’intelligence humaine sont les fruits d’une intelligence créée.

Mais l’enfer, voilà ce qu’il est au pouvoir de l’homme de créer, à partir de rien. Mais notez que je dis : c’est une chose qui est en son pouvoir. Cela veut dire qu’il pourrait aussi ne pas user de ce pouvoir.Car l’enfer pourrait n’être que la conséquence de notre liberté. Qui nie le ciel, nie la grâce de Dieu. Mais qui nie l’enfer, nie la liberté de l’homme. Dieu a créé l’homme avec une telle liberté que cette liberté doit pouvoir lui permettre de dire non à son créateur. L’enfer est donc une possibilité logique suspendue, en tant que telle, à la liberté humaine.

Le riche mourut aussi et fut enterré

La brebis partie sans retour

Prenez l’exemple de l’évangile d’il y a deux dimanches : la brebis égarée. Dieu promet qu’il ira lui-même à sa recherche. Il a promis qu’il descendrait au fond de la vallée, dans les ravins, qu’il bravera les ronces pour aller chercher la brebis égarée. Mais quand il l’a retrouvée, imaginez que celle-ci refuse de rentrer au bercail. Que malgré toutes les supplications, toutes les admonestations, elle s’y refuse. Que faire ? La priver de liberté en la ramenant de force ?

Pensez à la parabole de l’enfant prodigue que nous avons lue il y a trois dimanches et pensez au fils aîné : il arrive, il reste à la porte, le Père va vers lui, il le supplie d’entrer, il le rassure (tout ce qui est à moi est à toi, bordel!) Et, imaginez de nouveau que cette autre brebis égarée refuse d’entrer. Le P. Loew écrivait : « Quand on se prend trop au sérieux, c’est tellement bête que Dieu lui-même est déconcerté. » Que faire quand Dieu lui-même est déconcerté ?

Voilà peut-être ce que désigne l’enfer : la possibilité de l’impuissance de Dieu, d’un échec de sa grâce et de sa miséricorde. Et il faut avouer que là où la miséricorde deviendrait impuissante, il n’y a sûrement plus rien à faire. Il y a certes un mauvais usage de l’enfer mais il y a aussi un bon usage : la possibilité de l’enfer est toujours ouverte sous nos pieds non pour nous faire peur mais pour nous faire choisir le parti de la miséricorde : je mets devant toi la vie et la mort, dit le Deutéronome, et il ajoute comme s’il nous suppliait : « s’il te plaît, choisis la vie. »

La part du pauvre

Deuxième chose, pour choisir le parti de la miséricorde, il faut être pauvre, nous dit l’évangile d’aujourd’hui. Mais sur ce point encore, l’évangile de ce dimanche est dérangeant. Il ne nous dit pas vraiment ce que le riche à fait pour mériter d’aller dans cette fournaise qui lui chauffe les oreilles. Vous pensez peut-être que c’est parce qu’il n’a pas aidé Lazare ; c’est peut-être vrai. Mais l’évangile ne le dit pas. Vous pensez peut-être que c’est parce qu’il n’était pas généreux ; c’est peut-être vrai, mais l’évangile ne nous le dit pas. Cet homme avait sans doute des mérites aux yeux de la société, peut-être avait-il fait avancer l’économie; peut-être payait-il ses impôts régulièrement.

De même pour le pauvre Lazare, on ne nous dit rien de lui ni pourquoi il était réduit à la misère: peut-être en était-il de sa faute; peut-être était-il paresseux et ne faisait-il aucun effort pour s’en sortir ou préférait-il vivre aux dépens des autres. C’était peut-être entièrement de sa faute s’il était un sans-dent.

L’évangile laisse donc l’impression que l’un est dans la fournaise simplement parce qu’il est riche et l’autre dans le sein d’Abraham simplement parce qu’il est pauvre. Le seul indice qu’on a sur cette question, c’est que le riche donnait beaucoup de banquets. On ne sait pas qui il invitait, mais on sait par contre qui il n’invitait pas : des gens comme Lazare qui étaient sans doute incapables de l’inviter en retour. Encore la suite logique d’un évangile des derniers dimanches : quand vous faites un banquet, invitez ceux qui ne peuvent pas vous rendre la politesse, et ils vous accueilleront dans les demeures éternelles.

Aimer le prochain comme soi-même

Pauvreté par prodigalité : ceux qui dévalisent le père pour enrichir les autres qu’ils soient prostitués ou débiteurs, au prix de finir eux-mêmes sans le sous, contraints de manger des gousses de porcs, sont fêtés et célébrés. On ne le dira jamais assez, la pauvreté dont il est question dans les évangiles, ce n’est pas une pauvreté subie, c’est une pauvreté choisie et obtenue. Donner à ceux qui ne sont pas en mesure de nous rendre en retour, c’est techniquement s’appauvrir. Et c’est de cette pauvreté là qu’il s’agit ici : non pas la pauvreté que subit Lazare, mais la pauvreté qu’aurait pu choisir le riche. Le mode du Royaume est sur celui de la dépense et non de l’accumulation. Donner sans attendre en retour, c’est accepter de donner sans recevoir, de dépenser sans gagner, de perdre du matériel pour gagner du spirituel, de perdre des biens pour gagner des amis (comme disait l’évangile de dimanche dernier). Et la seule chose de vraiment clair dans l’évangile, c’est ce que le riche n’a pas fait cela ici-bas.

La sale gueule du prochain

Une troisième chose: c’est que ce riche n’a jamais pris au sérieux la parole de Dieu. Moise et les prophètes pour lui en bref, de son vivant comme dans l’au-delà, c’est pas du sérieux. Il a ses critères : à la limite, quelqu’un qui ressusciterait d’entre les morts ferait bien l’affaire. Et c’est le même traitement qu’il réserve à Lazare : il ne le prend pas au sérieux, et il ne l’a jamais pris au sérieux. Il ne lui adresse même pas la parole alors qu’il est dans le besoin le plus criant, non il ne va pas s’abaisser à lui adresser la parole. Avez-vous parfois imaginé ce que ça aurait donné si le riche avait crié vers Lazare et que Lazare avait intercédé pour lui auprès d’Abraham, s’il avait fait joué à Lazare le rôle de l’ami du milieu ? Pure hypothèse, oui, mais un homme pas aussi imbu de lui-même, un homme dans sa situation aurait quand même dû essayer toutes les possibilités, non ? Apparemment, ça ne l’intéressait que peu.

Il ne lui a jamais adressé la parole ici-bas et il ne lui adresse pas davantage la parole dans l’au-delà. On pourrait faire ici un parallèle : cette parabole représente chez saint Luc, la grande fresque du jugement dernier en Matthieu chapitre 25 : j’avais soif, vous m’avez donné à boire ; j’avais faim, vous m’avez donné à manger. Celui qui ne répond pas ainsi aux appels du prochain, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts, il n’entendra pas son appel. Et il faudrait en conclure que prendre au sérieux la parole de Dieu, c’est prendre au sérieux ceux qui nous entourent, c’est-à-dire celui que, constamment, l’évangile appelle le prochain. Que ce prochain s’appelle Moïse et qu’il soit un grand prophète ou Lazare et qu’il soit un sale type, qu’il soit le voisin que vous détestez ou le cousin que vous ne supportez pas, qu’il soit le frère que vous voulez oublier ou l’ennemi que vous évitez, il pourrait être une parole de Dieu pour vous et surtout un chemin vers le paradis.

Car après tout, la Parole de Dieu, même lorsqu’elle parle de l’enfer, ne s’occupe pas de nous dire comment l’éviter. Son but n’est pas de nous épargner l’enfer. Son ambition est plus noble : nous faire aimer Dieu et notre prochain et de nous ouvrir ainsi les portes du paradis.

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