Épictète disait : « L’art de vivre a pour matière la vie de chacun. » Et Jésus lui répondit : « L’art de vivre a pour matière la vie du prochain. » Ce n’est pas qu’il faut négliger le soi. Mais le soi ne se gagne qu’en se décentrant. Il ne se trouve qu’en se perdant… dans le prochain, par sa médiation.

L’appel et le rappel

Dimanche dernier, je me suis permis quelques petites méchancetés sur notre tendance à saturer l’évangile d’une morale petit bourgeois. Disons, pour donner un nom à la chose qu’il s’agit d’une confusion entre l’appel et le rappel. La morale est presque toujours de l’ordre d’un rappel. La morale est là pour nous rappeler des choses que nous savons presque toujours déjà : ne pas tuer, ne pas mentir, ne pas commettre l’adultère, etc. Tant et si bien que lorsque nous les commettons, c’est notre conscience qui nous juge en premier, en nous rappelant le bien qui y est toujours déjà inscrit.

L’évangile, en plus de nous faire des rappels, est quant à lui, fondamentalement, un appel, une vocation. Il ne cherche pas tant à nous rappeler des choses qu’il ne vise à nous appeler à quelque chose, à nous dire des choses que nous n’avons jamais entendues, à nous piquer sur le vif (à nous attaquer à main armée, comme je disais), à nous faire sursauter (à nous piquer comme un scorpion), à nous mettre en mouvement. Lorsque nous confondons ces deux niveaux, alors dans un évangile comme celui de dimanche dernier, nous entendons Jésus nous dire en fait ce qu’il ne dit pas : il ne dit pas vous devez être la lumière du monde (ça serait de la morale), mais, de but en blanc, redisons-le, vous êtes le sel de la terre.

Je suis venu accomplira loi, non pas l'abolir

Entendre l’appel des âges

Il me semble qu’on peut retenir cela comme une clef pour lire le sermon sur la montagne dans son ensemble (Mt 5-7). Car, l’on voit bien, dans la suite, aujourd’hui, que Jésus nous invite, afin d’accomplir la loi, à la dépasser. Afin de mieux vivre les rappels, à entendre l’appel qu’ils contiennent. Car la loi, comme la morale, est toujours de l’ordre d’un rappel.

Si vous en voulez une preuve, pensez au fait suivant : personne, mais vraiment personne, ne va relire tous les matins son contrat de travail pour savoir ce qu’il doit faire. C’est seulement le jour où il y a un problème, qu’il faut justement faire un rappel à l’ordre, c’est ce jour-là que l’on sort le contrat. Aussi, vous avez appris qu’il a été dit aux Anciens (= nous sommes dans la logique de la loi, c’est-à-dire de la morale, c’est-à-dire du rappel), mais moi je vous dis (= attention, il y a un appel qui va retentir et vous allez être piqué au vif!)

Ainsi, vous avez appris qu’il a été dit tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne manqueras pas à tes serments… Et moi, je vous dis, au lieu de vous contenter de ne pas faire le mal, cherchez les moyens de faire le bien. Trouvez l’appel que contenaient tous ces commandements, l’appel originaire dont ils sont le sédiment et vous pourrez alors réaliser une justice qui ne consiste pas seulement à être « réglo devant la loi » mais qui consiste à aimer le prochain et à vouloir activement son bien.

Typologie du mauvais pénitent

Bien souvent, nous nous arrêtons au premier aspect qui consiste à être réglo. Je suis prêtre depuis quelques années et ma pratique de la confession m’a permis de repérer les types de pénitents qui viennent se confesser. Je crois que, globalement mais sans être exhaustif, on peut repérer cinq types de pénitents.

Le premier type, ce sont ceux ou celles qui viennent se confesser et qui, en toute bonne foi, ne savent pas ce qu’il faut dire. J’ai une fois reçu une jeune femme qui m’a dit, « c’est ma copine qui est là-bas dans l’église qui m’a poussée à me confesser et je vous avoue que je ne sais plus ce que c’est ». Et cette jeune femme est partie en pleurant toutes les larmes de son corps, même sa copine en était surprise ! Il ne faut donc pas juger.

Le second type, c’est ceux et celles qui viennent s’excuser d’être comme tout le monde : « mon Père, j’ai menti – oui, mais tout le monde fait ça. J’ai trompé ma femme, mais ça arrive à tout le monde, vous comprenez, etc. » Le troisième type, ce sont ceux ou celles qui, au lieu de confesser leurs péchés à eux, viennent confesser les péchés des autres : « vous savez mon Père, mon mari est désagréable, ma femme n’est pas une personne gentille, mes enfants ne m’écoutent pas, etc. » C’est l’exemple dans la parabole du publicain et du pécheur. Le quatrième type, c’est la confession théologique : « mon Père, vous savez je me suis mis en colère contre ma femme. Mais je ne crois pas que ce soit un péché, parce que pour qu’il y ait péché il faut que la matière soit grave, que l’intention soit mauvaise, etc. Or, là ce n’était pas le cas. »

Tu ne commettras pas de meurtre

En règle ? Le souci de soi

Le cinquième type, c’est celui qui, au lieu de dire ce qu’il a fait, vient en confession pour dire ce qu’il n’a pas fait : « mon Père, vous savez, je n’ai pas tué, je n’ai pas volé, je n’ai pas trompé ma femme, je n’ai pas menti… je vais à la messe tous les dimanches ». Bref, mon Père, je suis réglo, quoi.

Il me semble que c’est vers ce dernier type que Jésus se tourne dans l’évangile d’aujourd’hui : ceux et celles qui sont tentés de croire qu’ils sont réglos parce qu’ils n’ont pas tué, parce qu’ils n’ont pas commis l’adultère et parce qu’ils n’ont pas juré. Tout cela est bien, nous dit Jésus, mais il faut le surpasser, car il ne s’agit là que d’une justice de pharisien qui ne mérite pas l’entrée dans le Royaume de Dieu. Être juste, ce n’est pas respecter la loi en ses détails, c’est respecter l’esprit de la loi, ce n’est pas seulement écouter le rappel, c’est entendre l’appel. Nous n’avons pas tué : c’est déjà bien. Mais qu’entend la loi par « tuer » ?

Restez-y un certain temps et vous vous rendrez compte que pécher prend beaucoup de temps… On ne commet pas un meutre en cinq secondes. Quand ça se passe en cinq secondes, ça s’appelle un accident. Commettre un meurtre prend du temps pour échafauder les projets, les bâtir, les consolider, et les exécuter. Et c’est ici que notre capacité à jouer avec la loi entre en jeu car, l’on se prend à dire : « tant que je n’ai pas commis le dernier acte, l’acte décisif, je suis quitte. » Jésus nous dit que, dès le tout premier acte, c’est-à-dire dès la colère, le feu est allumé et risque d’emporter la forêt.

Si celui qui commettait l’adultère pensait à l’époux qui peinera et aux enfants qui pourraient peiner d’un divorce, il ne poserait pas le premier regard. Si celui qui commettait un meurtre pensait à la mère inconsolable et aux effets sans nombre, il ne se mettrait pas en colère. Voilà ce que, je crois, il faut entendre. C’est en réintégrant la loi dans cette communauté plus large qu’on en entend l’appel véritable.

La communauté de vertus

La communauté de la grâce ou le souci du prochain

Une autre différence entre l’appel et le rappel mérite d’être souligné. Le rappel s’adresse toujours à l’homme seul, à l’individu. Devant la Loi, l’homme est seul. L’appel, par contre, retentit toujours pour une communauté, c’est-à-dire pour toi et le prochain en même temps : Dieu appelle toujours un peuple, voilà ce que dit la Bible de bout en bout.

L’homme est toujours seul face à la loi. La loi pèse toujours sur un individu : votre avocat pourra être à vos côtés au tribunal et même venir vous visiter en prison, il n’ira pas en prison avec vous. Même vos complices seront jugés à part, pour complicité, participation, mais chacun est seul devant la loi, et pour l’accomplir et pour en subir la sanction.

La grâce elle, par laquelle l’on dépasse la loi, ne s’accomplit jamais sans l’autre, sans le prochain. La meilleure façon d’accomplir la loi sur le meurtre, c’est de s’en abstenir, d’en chercher les énergies quelque part en soi-même, etc. La meilleure façon de dépasser la loi du meurtre, c’est de mettre l’autre au centre : le prochain sacrifié, le tiers éradiqué. La meilleure façon d’accomplir le commandement à propos de la colère, c’est d’aller au temple donner son offrande quand on y tombe (Lévitique 6,6). La meilleure façon de dépasser ce même commandement, c’est de laisser là son offrande sur la route (peu importe s’il est piqué par des voleurs) et d’aller voir ton frère pour te réconcilier avec lui.

La loi est pour notre justice personnelle, la grâce est toujours dans le salut de l’autre et ce salut, et seulement lui, peut faire notre justice, en retour. C’est le décentrement qu’opère le sermon sur la montagne, à partir même des Béatitudes. C’est parce que je fais communauté avec l’autre dès le départ, c’est au nom de cette communauté avec lui que je m’impose ceci ou cela.

…Avant de revenir à soi

Alors, appel ou rappel ? Nous les hommes, nous sommes souvent focalisés sur ce que nous avons fait, ce que nous n’avons pas fait, tué ou pas, menti ou pas, etc. C’est la morale. Mais le Christ nous invite à voir plus loin : non pas ce que nous avons fait mais ce que nous sommes. Ou mieux : comment notre faire transforme notre être, c’est-à-dire ce que nous sommes appelés à être à travers nos actions. Nos actions n’ont pas une fin en soi comme si on cochait des cases. Leur enchaînement dessine un parcours dont les lignes plus ou moins droites dessinent notre identité afin qu’on puisse, à la fin, nous appeler par notre nom et nous entendre répondre : oui.

Cette dimension apparaît dans le troisième exemple que donne Jésus : celui du serment. Jurer, c’est en réalité aller chercher une caution à sa propre parole. Quand vous dites, j’étais là, je vous jure – c’est en réalité qu’on n’est pas sûr que vous étiez là alors vous allez chercher la caution du serment pour appuyer le fait que vous étiez vraiment là. Jurer, c’est aller chercher, ailleurs, une force pour appuyer sa propre parole et c’est en réalité avouer que ma parole n’a pas en elle-même de force.

Or, quel homme ou quelle femme suis-je si je ne peux pas être un homme de parole ? Jésus ne nous invite pas par caprice, à ne pas jurer : mais à éviter d’être ces hommes qui ne savent pas dire oui ou non et y tenir, dont la parole n’a plus aucun poids et qu’on risque même de ne pas prendre au sérieux le jour où ils sont sincères — pour la raison simple qu’ils ne l’ont jamais été. Quel homme vous êtes, voilà qui est plus décisif que ce que vous faites.

1 Comment

  1. Caro Leo..
    Ottimo articolo…la confessione viene dalla sinceritaa d animo..mi pare a volte viene solo per paura ..o abitudine..o consuetudine..

    a bien tout!!

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