Le semeur a semé. Il est invité à aller dormir, jusqu’au moment où, à la moisson, il lèvera la faucille. Et en attendant ? Voici : les oiseaux s’amusent dans les ailes de la plante qui pousse. Voici la parabole en Mc 4,30-32: « Il disait encore : “À quoi allons-nous comparer le règne de Dieu ? Par quelle parabole pouvons-nous le représenter ?” Il est comme une graine de moutarde : quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences. Mais quand on l’a semée, elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères ; et elle étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre. »
La modestie du royaume
Commentant ce texte, le cardinal Barbarin disait qu’il fallait retenir deux choses des paraboles du royaume : le secret et la croissance. Comment une petite graine devient un grand arbre, voilà le secret. Quelque chose qui se passe sans nous, que nous soyons éveillés ou endormis. Mais que la graine devienne un arbre, malgré tout, voilà la croissance. Et c’est de sa certitude que Jésus veut assurer. Allez semer, semble-t-il, dire. Semez à tous vent, des petites graines, partout, fiévreusement, amoureusement.
Les lecteurs fidèles de ce blog savent que je suis follement amoureux de Mère Teresa de Calcutta (il faut de temps en temps avouer ses amours, même pour un prêtre, n’est-ce pas!). Quand on lui demandait ce qu’elle faisait avec ses sœurs, elle répondait :
0h, on ne fait pas de grandes choses, mais seulement des petites avec un amour immense.
Ou encore, citant Saint Augustin :
Nous ne devons pas essayer de contrôler les actions de Dieu. Nous ne sommes pas appelés à réussir, mais à être fidèles. La fidélité est importante, même dans les petites choses, non pas pour la chose elle-même, ce qui serait le souci d’un esprit mesquin [qui ne dormirait donc pas], mais pour la grande chose qu’est la Volonté de Dieu. Saint Augustin a dit : “Les petites choses restent petites, mais être fidèle dans les petites choses est une grande chose.”
La grande affaire des petites choses
Pourtant, cette parabole va peut-être plus loin que cette première étape des petites choses. Celui qui plante, en effet, veut récolter. Mais Jésus semble dire ici qu’il ne faut pas trop se préoccuper de la récolte au point d’oublier ce qui se passe entre temps, en attendant. A savoir, les oiseaux à qui est offerte l’hospitalité.
Car, on l’oublie souvent. L’histoire tout entière du royaume est une large histoire d’hospitalité. Elle commence, évidemment, à la création. L’hospitalité fut le premier mot du monde. D’après le livre de la Genèse, elle est la seule vertu que Dieu lui-même vint quémander aux hommes. Mais elle est également la première qu’il pratiqua lui-même. Recevoir est un art, de coulisse (secret !) que Dieu lui-même, sans s’affoler, pratiqua au début de la création.
La création, comme hospitalité
Avant la création de l’homme, Dieu accueille chaque être qu’il crée, prend le temps pour lui, devant lui s’arrête en admiration et la Bible, émerveillée, n’en finit plus de répéter ces mots : « il vit que c’était bon ! » La création est l’hospitalité que Dieu accorde à toute chose. Il prend un soin précieux des coulisses de la création de l’homme, il est décrit à la façon de celui qui se prépare à recevoir un hôte.
Au début, nous dit la Genèse, la terre était informe et vide, tohu-bohu, littéralement sens dessus-dessous. Ou si l’on veut, les chaussettes traînaient sur le canapé, l’évier débordait de vaisselle, le drap attendait d’être repassé et le lit n’était pas fait. Ou mieux encore : le ciel traînait sur la terre, les eaux d’en-haut s’amalgamaient aux eaux d’en-bas, le jour ne connaissait pas la nuit et se prenait parfois pour elle…
Mais alors, Dieu mit un ordre à tout ceci en séparant, c’est-à-dire aussi en mettant chaque chose à sa place, en mettant la maison en ordre. Le premier récit de la création nous le montre, jardinier, plantant et arrosant le plus beau jardin du monde pour enfin y accueillir l’homme qu’il fit. Dieu fit la terre comme un lit (Adam s’y couchera pour se faire enlever la plus belle côte du monde), déploya les cieux comme un drap blanc, les planta d’étoiles, concentra les eaux comme dans une baignoire, fit traverser tout cela par quatre rivières dont Chesterton disait :
« J’espère, bien que n’ayant pas eu le temps vérifier ceci par moi-même, que les quatre rivières de l’Eden étaient de lait, de bière, de vin et d’eau [quand même!] ».
(Ah Dieu, que j’espère la même chose !) La table était mise, la bière servie et Adam pouvait entrer.
La rédemption comme hospitalité
Mais évidemment, arriva ce qui devait arriver. Quand il finit la maison et y installe Adam et Ève, Dieu leur dit littéralement : « La maison est à vous, faites comme chez vous » (Gn 1,29-30). Et on sait ce que cela veut dire quand l’hôte invite l’étranger à faire comme chez lui. Ça ne veut pas dire qu’il faut faire du tapage toute la nuit sur la foi de cette parole. Dieu lui avait ouvert toute la maison à Adam, mais il s’était quand même réservé une chambre pour lui-même. Non content d’avoir l’espace large à n’en savoir que faire, Adam tente d’occuper également la chambre même de son Créateur. Voilà le péché…
Sans s’y étendre, quand les temps seront accomplis, c’est cette hospitalité dont les hommes se sont révélés incapables que Dieu, en son fils, reviendra enseigner au monde. L’évangile de Jean a un mot grec intraduisible pour dire la chose : « Et le Verbe s’est fait chair et il s’est entabernaclé parmi nous ». Le tabernacle, c’était la présence de Dieu au milieu de son peuple durant sa marche dans le désert : un Dieu hôte, qui tentait de se faire recevoir d’un peuple et qui tentera de façon ultime dans son fils (accepté par les uns, rejetés par les autres). Et ce fils, dans le plus grand testament qu’il laissa, ne fera rien d’autre qu’un geste d’hospitalité : le repas de l’eucharistie. Etc. etc.
La mission comme hospitalité
On peut maintenant revenir à l’évangile de Marc et à notre parabole. Dans Marc, quand Jésus envoie les disciples en mission, il ne leur demande pas de proclamer ceci ou cela. Rien. Pas d’élément de comm’. Ils doivent juste apprendre à se faire recevoir dans les villes où ils entrent. Car, telle est la mission, une affaire d’hospitalité. Matthieu ajoute même qu’il s’agit pour eux de se faire recevoir comme des agneaux au milieu des loups. S’ils réussissent cet exploit, alors le Royaume selon la prophétie d’Isaïe (Is 11) est littéralement réalisé et ils n’ont dès lors plus besoin de rien proclamer.
Le fruit des grains semés n’est donc pas forcément la gerbe de blé que l’on ramassera à la fin. Le premier des fruits, en attendant, c’est que la terre accueille la graine, que la plante accueille l’oiseau et que l’oiseau accueille des oisillons. Le fruit viendra… en attendant, heureux les yeux qui voient cela. Bref, ce qui dit AUSSI cette parabole, à mon sens, c’est qu’il y a le fruit qu’on attend. Celui qui plante des tomates n’attend pas des courgettes. Mais pendant qu’on attend ce fruit, voit-on AUSSI les fruits inattendus et se réjouit-on pour eux?
Une parabole en parabole
J’ai lu un jour, je ne sais plus dire où un pasteur protestant qui se réconcilia sa propre paroisse en prenant conscience, lui qui rêvait jusque là, d’une paroisse idéale, du caractère hétéroclite des membres qui la composaient : « Je me rendis compte, fit-il, que parmi ceux qui venaient au temple, il y avait ceux qui croient, mais aussi ceux qui n’étaient plus sûrs de croire et venaient voir s’il y aurait un miracle pour les relancer, ceux qui ne croyaient plus mais accompagnaient un croyant, etc. et que mon rôle était précisément et peut-être seulement de les rassembler. »
Traduisons : de faire de l’Eglise, un lieu d’hospitalité pour ces oiseaux qu’on n’avait pas prévus dans le plan mais qui se réjouissent de l’ombre de ce grand arbre. Une Eglise, telles ces cathédrales immenses avec la solidité de leurs murs et la vastitude de leur intérieur pour faire de la place à ce qui germe, ce qui a déjà poussé, etc. Sans ce va-et-vient qui les caractérise, sans cette capacité à faire place au tout-venant comme l’on dit, nous n’aurions pas eu un chrétien comme Claudel qui, un jour, comme un oiseau, y entra par hasard, pour profiter de l’ombre, s’assit derrière un pilier et, soudain… tomba dans la foi.
Sainte Theresa de Calcutta et vous, c’est plus qu’une question d’amour. Comme toujours, je continue d’apprendre en vous lisant.