– Jn 1,23
J’ai écrit quelque part et j’ai un bon ami qui me le rappelle à l’occasion — que je n’aime pas les porte-paroles. Quand ils portent la parole des puissants, ils empêchent qu’ils viennent nous mentir en face, ils empêchent qu’on entende leur voix. Et quand ils portent la parole des pauvres, ils risquent de leur enlever la seule chose qui leur reste souvent, leur voix. Mais il y a une troisième raison. C’est qu’ils sont, eux-mêmes, les rois de la dissimulation : leur propre voix est inaudible (en ont-ils seulement une?) car ils peuvent toujours s’excuser d’être seulement les porteurs de la parole d’autrui.
On a souvent fait de Jean-Baptiste un porte-parole. Lui-même se présente comme une voix. Et il y a, là, grosse différence. Voix, donc! Mais il y a deux sortes de voix (en plus bien sûr de la voix ventriloque du porte-parole, qui n’en est pas une). Il y a la voix, suave et mielleuse, qui cherche à charmer et dit ce que vous avez envie d’entendre. C’est, par exemple, le musicien qui vous plaît, qui sait dire les mots que vous aimez entendre avec le ton si juste qu’il vous transperce l’âme à chaque fois que vous l’écoutez ; c’est la voix du politicien en campagne, pas besoin de commentaires ; c’est la voix séductrice du renard qui flatte un corbeau croassant de plaisir.
Et puis, il y a l’autre : cette voix qui crie dans le désert et qu’on n’aime pas toujours, parce qu’elle vous prend à rebrousse-poil. On la traita de démon (Lc 7,33), il s’en moqua. On la flatta — il résista (Jn 3,28). Voix dans le désert parce qu’elle n’a d’autre but que d’être celle d’un homme libre, d’autre existence que le timbre vif de son auteur. Une voix qui n’a pas peur de mourir dans les dunes d’un désert et de n’avoir pour réponse qu’un écho vide et qui, pour cette raison, dit tout simplement ce qu’il a à dire, assume de le dire et de l’avoir dit.
Aux grands prêtres, qu’ils arrêtent leurs mesquineries (Mt 3,7) ; aux soldats, qu’ils arrêtent d’abuser (Lc 3,14) ; aux financiers, qu’ils arrêtent de voler (Lc 3,13) ; au roi, qu’il n’a pas le droit de prendre toutes les femmes (Mc 6,18) ; à Jésus lui-même, d’arrêter de faire le malin et de dire enfin si c’est Lui qu’on attend (Mt 11,2-3) ; à ses propres disciples d’arrêter de le suivre, pour l’Agneau qu’il leur désigne (Jn 1,29).
La plupart des saints sont fêtés le jour de leur mort, à leur naissance au ciel. Très peu sont fêtés pour leur venue au monde. Dans le lot, la Nativité de Jésus mise à part, il n’y a que Jean-Baptiste et la Vierge. Dans la nativité du Baptiste est donc fêtée, en quelque sorte, la naissance de la Voix, dont Jésus lui-même chantera l’éloge (Mt 11,11). Mais chez Jean-Baptiste, les deux destins se combinent : le destin de la voix est, en effet, de contenir sa mort dans sa naissance, de mourir à peine née, de s’évanouir dans le désert, sans trace : sauf pour ceux qui deviennent Voix à leur tour et en répètent le geste de liberté.
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