Il était une fois un gérant. Sentant son limogeage prochain, il fit venir les débiteurs de son maître et leur parla sans témoin. Gardez-vous leur dit-il, de tout rembourser : voilà pour vous des réductions de crédit. Il espérait ainsi, une fois fauché, se faire recevoir chez eux. Gérant malhonnête, voleur manifeste dont, pourtant, le maître fait l’éloge.
Éloge d’un voleur
Jusqu’à un certain point, l’histoire du gérant malhonnête tient la route. Cela va mal (pour le maître) mais bien pour l’histoire car elle est cohérente. Mais tout se gâte lorsque le maître commence à faire l’éloge de ce voleur, gérant aux mœurs pas catholiques! Jésus en rajoute regrettant que les fils du Royaume manquent l’habileté du trublion. Le petit bourgeois qui sommeille dans le prédicateur, à ce point, s’insurge et ne sait plus à quel diable vouer cette parabole louant cette engeance qui est, je le cite, « la peste de nos sociétés ». Mais Dieu n’est pas bourgeois. Heureusement.
Un voleur après l’autre
D’ailleurs il aggrave le cas. Car cette parabole vient après une plus célèbre : celle de l’enfant dit prodigue qui, lui aussi, dépense les biens d’autrui. Techniquement, son père n’étant pas mort, les biens n’étaient pas à lui! Et quoi qu’on dise de son grognon de frère aîné, il avait tout compris. Au père qui insiste pour qu’il fasse les accolades à son puiné revenu de galère, il répond : “Quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré TON bien avec des prostituées…”. À part son délire sur les prostituées, il a raison d’accuser son frère d’avoir dépensé non pas ses propres biens mais ceux du père. Bref, en voilà un autre qui, comme le gérant, se montre généreux (avec des prostituées!) non pas sur ses propres ressources, mais avec les biens d’autrui.
Cherche désespérément « voleur de Royaume »
Et, chose curieuse, les personnes lésées, au lieu de s’énerver, applaudissent : l’un accueille le chenapan les bras ouverts et lui fait une fête (Lc 15), l’autre fait son éloge (Lc 16) et, devant les deux, Jésus est en extase. Que ne sont les fils du Royaume semblables à ces deux-là!
Au fond, dans la logique du Royaume, ces deux là sont des exemples à suivre. Dieu ne serait-il pas heureux, en effet, que ses fils lui dérobent et détournent les biens du Royaume au profit de malheureux en manque et autres prostituées? Le Royaume est un gros stock d’amour, de joie, de pardon, de paix, de justice, de miséricorde, d’estime de l’autre… (vous voulez que je continue?) Et Dieu regrette littéralement, dans cet évangile, que ses enfants ne soient pas aussi habiles pour lui voler ces biens-là et les répandre sur la terre.
En réalité, si l’on voulait, comme le gérant malhonnête, être débonnaire aux dépens de Dieu, lui soutirer un peu de la joie, du pardon et de la justice dont regorge son Royaume pour en faire cadeau à ceux qui en manquent, non seulement Dieu fermerait les yeux sur le larcin, mais sûrement ferait-il aussi notre éloge. Mais, à voir nos gueules, il a raison comme toujours : quand il s’agit d’être habiles à ça, bon Dieu!
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