En Jean 6,1-15, Jésus pose une question apparemment simple : « Où trouver du pain pour tout ce monde ? ». Question aux enjeux politiques et spirituels profonds, résonnant encore dans nos sociétés contemporaines.
Une Question toujours actuelle : Où trouver du pain ?
Où trouver du pain pour tout ce monde ? La question à l’apparence très banale que Jésus pose dans l’évangile de ce dimanche est une question, depuis toujours, très politique. Les Romains attendaient de leurs empereurs, selon la formule consacrée, du pain et du cirque. Et dans cet ordre là : le pain d’abord car, on le sait, personne ne va au cirque le ventre vide.
Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus réussit à donner du pain à la foule et celle-ci est prête à se saisir de Lui pour en faire un empereur, un roi, un président. Aujourd’hui, deux mille ans après, nos élections portent au pouvoir ceux qui nous promettent de régler la question du pain : de nos jours, ça s’appelle inverser la courbe du chômage. Mais c’est de la même histoire qu’il s’agit.
Donner pour avoir: la réponse économique
Lorsque la question est posée, non sans une certaine malice par le Christ, Philippe pense à une solution économique. Il fait des calculs très rapides et il dit au Seigneur, pour utiliser nos mots d’aujourd’hui : « Seigneur, avec les perspectives que nous avons, à moins que la croissance reprenne, on ne pourra pas nourrir tout ce monde même avec le salaire de deux cents journées de travail ».
Parce que ventre affamée n’a point d’oreilles, devant le problèmes sociaux, c’est souvent vers la production économique qu’on se tourne. Vers la croissance et l’on se dit par exemple: « ah ! si on pouvait en produire davantage, on résoudrait le problème de la faim dans le monde ». Or, nous savons bien que nous n’avons jamais autant produit et pourtant, il n’y a peut-être jamais eu autant d’inégalités ; plus nous sommes développés, plus il y a des sous-développés. Le Pape Jean-Paul II a appelé ça le paradoxe de l’abondance.
Le Paradoxe de l’abondance
Bien avant que le pape François ne fasse de cette question la marque de son pontificat, Jean Paul II faisait remarquer: « il y a de la nourriture pour tous, écrivait-il, mais tous ne peuvent pas manger ; car au même moment, les déchets, le gaspillage, l’usage des aliments pour d’autres fins comme la production du carburant sont là devant nos yeux ».
Mais alors, si les calculs économiques produisent ce paradoxe, faut-il se tourner vers ceux qui ont le pouvoir ? Quand la machine de la production ne tourne pas, en effet, la deuxième chose qui arrive souvent, c’est que la tête du roi va tomber. Ce qui n’est qu’une façon de réclamer un autre roi, de regarder donc du côté de ceux qui ont le pouvoir, attendant qu’ils décident pour que tout aille mieux : s’ils faisaient ceci ou cela, ils pourraient inverser la courbe du chômage et tout le monde pourrait trouver à manger.
Jésus refuse d’être fait roi
Parfois même, c’est comme si nous croyions qu’ils avaient le pouvoir de transformer les pierres en pain pour notre bonheur. Et ce n’est pas faux : si une petite partie de l’argent gaspillé ici et là était utilisée ailleurs, certains de ces problèmes pourraient trouver des solutions.
La question est également posée dans l’évangile d’aujourd’hui. Jésus donne à manger à cinq mille personnes ; pour utiliser des termes modernes, on pourrait dire qu’il inverse la courbe du chômage en trois secondes. Qu’est-ce qui se passe : on vient le chercher pour en faire un roi. Qui ne rêverait pas d’avoir un président comme lui? On veut le placer au lieu du pouvoir pour qu’il influence les décisions, pour qu’il prenne les plus adéquates. Mais qu’est-ce qu’il fait? Il se dérobe et s’enfuit.
Le Paradoxe de l’Évangile
Nous sommes là devant un autre paradoxe, celui de l’évangile. La réponse est claire : ni l’économie seule, ni le pouvoir ne sauront jamais rendre le monde meilleur. Dans l’économie, disait le pape Benoit XVI, il s’agit de donner. Mais il s’agit de donner pour avoir. Dans la politique, ajoutait-il, il s’agit toujours de donner. Mais il s’agit de donner par devoir (Caritas in Veritate, §39).
Sans abandonner ces deux aspects, disait-il, il faut s’ouvrir à la dimension de la gratuité qui consiste non pas à donner pour avoir, non pas à donner par devoir, mais à donner pour donner. Alors que la politique et l’économie nous maintiennent toujours debout dans l’urgence (il faut produire ou il faut décapiter le roi, sans tarder, le Christ prenant son temps comme un enfant qui joue, nous fait asseoir dans l’herbe grasse – comme c’était déjà le cas déjà dans l’évangile de dimanche dernier qui nous invitait au repos, malgré les urgences.
La Gratuité divine : Une leçon d’Évangile
Alors que la politique et l’économie sont dans la régulation, des noces de Cana au miracle de Capharnaüm, le Ciel se plaît à exagérer : six cents litres de vin là-bas, douze paniers de pain en surplus ici, peut-être simplement pour nous apprendre la gratuité, juste une minute.
Sans renier les solutions économiques et politiques, et même en se battant pour qu’on ne les ignore pas, l’évangile d’aujourd’hui nous montre donc, comme à côté de ces deux approches, que ce qui sauve réellement est aussi banal que la gentillesse d’un enfant, la tendresse d’une mère et la miséricorde d’un Dieu. C’est la capacité à donner sa vie pour ceux qu’on aime. C’est cette capacité qui poussera le chef d’entreprise, après une année grasse, à ne pas garder le bénéfice pour lui seul, mais à augmenter le salaire de ses employés. C’est ce qui pousse un enfant à donner les petits pains qu’il a.
L’enfant, ses pains, son poisson
Cinq pains et deux poissons généreusement donnés par un enfant à qui sa mère a pensé le matin pour son casse-croûte et un Dieu tellement ému par tant de délicatesse qu’il en fait un miracle. Ce ne sont pas les calculs que nous faisons, ce n’est pas le pouvoir que nous avons, c’est ce que nous donnons de nous-mêmes qui compte le plus.
C’est d’ailleurs pourquoi c’est un enfant qui fournit le pain : les adultes comme Philippe (ou comme le monsieur de Baal-Shalisha dans la première lecture), font des calculs et quand ils sont en défaut, ils préfèrent garder la main sur ce qu’ils ont. L’enfant lui, peut-être un peu naïf, donne ce qu’il a. On s’étonne que le Christ nous invite constamment à être comme des enfants pour mériter le Royaume.
L’Eucharistie : Une institution de l’Offrande
On sait que dans l’évangile selon saint Jean, cet épisode de la multiplication des pains, tient lieu de l’institution de l’eucharistie. En fait, l’eucharistie est encore ici comme la parabole de l’évangile. En chaque eucharistie, nous venons avouer nos limites, notre incapacité et même notre échec à nourrir la terre entière, nous refusons de feindre d’être capables de sauver le monde. Nous y venons, pour ainsi dire, après avoir fait la politique et l’économie, avec les limites de ces dernières.
Mais ce que nous avons fait, grand ou petit, deux ou cinq pains, trente cinq ou cent-cinquante trois poissons, nous acceptons de le déposer dans les mains de Dieu pour qu’avec cela, il fasse ce que Lui seul sait si bien faire : sauver le monde. Mais une fois encore, cet exercice ne saurait s’arrêter seulement une heure par semaine lorsque nous sommes assis dans ces bancs, sans franchir les murs de cette chapelle ou de nos églises : cela est destiné à s’ancrer dans toute notre vie, nous sommes éduqués à savoir ouvrir nos mains, à l’image du Dieu que nous avons chanté dans le psaume qui ouvre les mains et nous rassasie.
Politique et économie de l’eucharistie
Dieu est capable de faire des miracles. Mais avec ce que nous lui déposons dans les mains. Alors, la question est là : qu’as-tu apporté ? Qu’es-tu capable de donner ? Et ne va pas dire que tu n’as rien. Certains historiens pensent que l’eau que nous mêlons au vin vient d’une tradition de l’Église de Rome où l’on demandait aux orphelins qui n’avaient rien à donner pendant la messe, d’apporter au moins de l’eau – l’eau que l’on mêlait au vin pour que nul ne fasse défaut dans l’offrande qui était élevée vers le Ciel.
Alors oui, devant les souffrances de notre monde, devant le mal qui ne prend jamais de vacances, devant la question du pain, qu’as-tu à donner : de l’argent ? Ton temps ? Ta personne ? Ta tendresse, comme dit saint Paul dans la deuxième lecture ? Seulement trois pains ? Tu n’as plus que des arrêtes de poissons ? Donne-les et fais confiance à celui qui est capable de se laisser toucher par ta générosité et d’en faire un miracle plus grand que tu n’aurais imaginé.
On pourrait croire que j’ai commencé sur des grands airs de politique et d’économie et que je termine sur la petite note, du petit coeur et du petit coin (ou de la politique du colibri, que j’abhorre, pour être franc). D’où il faut préciser pour finir qu’il ne s’agit pas ici seulement, il faut insister, d’une question de « foi personnelle ». Sur cette question, des recherches importantes ont lieu de nos jours sur « l’économie de communion » des Focolari; l’économie eucharistique a inspiré depuis longtemps des entreprises multinationales comme Mondragon, etc. et je vous recommande, si vous pouvez, de lire Eucharistie et Mondialisation ou Être consommé, de William Cavanaugh.
Caro Leo,
This is a very good to the point “ economic “ homely.
Abundance .. in time of wars .,in time of power n hate n more .,