Femme, voici ton fils… Fils, voici ta mère (Jn 19,26-27). Ces deux phrases que prononce Jésus sur la croix sont anthropologiquement incorrectes. La première est impossible, la seconde est banale. La femme, en effet, sait toujours qui est son fils, on n’a pas besoin de l’en informer. Et tout le monde sait de quelle femme on est le fils (qui veut savoir peut appeler l’accoucheuse).

Le potentiel cocu

C’est l’avantage notable que les femmes ont sur les hommes qui, eux, ne savent vraiment jamais si le fils est bien le leur ou celui d’un autre. Un père est toujours potentiellement un cocu. Et c’est probablement pour masquer cet abyme que, dans (presque) toutes les cultures, les hommes doivent passer par un acte juridique ou rituel pour « reconnaître » un enfant. (Certains rites, à cet égard, paraissent curieux : on rapporte (L. Scubla) qu’en certaine tribu, au mariage, les beaux-frères couchent avec l’épouse, avant le mari – afin d’interdire à la question (à qui est l’enfant) de se poser: quand naît l’enfant (le premier), personne ne sait qui est vraiment le père et c’est bien comme ça, car ça permet au père cocu d’être le père, point barre. Ces actes sont comme des oracles qui conjurent la possibilité d’avoir été cocu en proclamant d’autorité : Père, voici ton fils… Fils, voici ton Père. Ce sont là, en effet, les seules phrases qui ont besoin d’être dites, les seules anthropologiquement correctes. Dites par les mères.

L’affaire des trois mères

Mais alors, pourquoi Jésus au lieu de dire ce qui a besoin d’être dit, dit au contraire ce qui n’a nul besoin d’être redit ? Je ne sais pas. Et ce verset m’a toujours paru une énigme. Mais ma piste est la suivante : ce qu’on appelle un disciple est un être un peu bizarre, par le fait qu’il a plusieurs mères (omettons, pour ici, d’importantes précisions). Il est engendré à la fois dans l’Esprit saint, par l’Église et (pour un bon catholique) par Marie.

Trois mères au lieu d’une seule comme pour tout le monde. Et, dans ce cas, les mères peuvent se dire entre elles, comme un secret qu’elles se redisent ou se transmettent, ces phrases qui sont de l’ordre de l’impossible ou de la lapalissade. L’Esprit saint peut, dans ce sens, dire à l’Église : « Femme, voici ton Fils… »

La fécondité du dernier Souffle

On peut ici revenir au contexte de cet évangile : Jésus est en train de rendre l’Esprit, la première mère. En même temps, par son côté transpercé ont coulé du sang et de l’eau, symboles de l’Église, la deuxième mère. Et la troisième mère est là aussi : Marie, la mère de Jésus. Le dernier Souffle de parole qui sort de la bouche de Jésus, c’est peut-être l’Esprit qui indique à l’Église que, sans attendre la résurrection, elle est déjà devenue mère et lui montre qui sont leurs fils (comme il continue de le faire encore aujourd’hui).

Le même Esprit indique à Marie qui perd son fils en Croix, la voie d’une fécondité nouvelle déjà commencée. Cela dit, on pourrait penser aussi que Jésus confie sa mère au disciple seulement pour lui assurer un toit et de la bouffe. Ça résoudrait sûrement les difficultés. Mais vous savez ce que j’en pense : toute l’histoire de la rédemption, juste pour ça ? Le Royaume de Dieu pour une affaire de nourriture et de boisson (Rm 14,17) ?

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