Il y a deux épisodes du figuier stérile dans les évangiles. Des deux, un seul est une parabole. J’ai commenté l’autre ici. Vous aurez remarqué que j’ai commencé ces commentaires par des paraboles agricoles et ce figuier arrive ici à la bonne place. Le semeur se demande en effet si la règle de laisser l’ivraie pousser s’applique aussi à la plante stérile. Et pour une raison qu’on peut comprendre, la première règle l’énerve moins que la seconde. Voici la parabole: Luc 13, 6-9: « Jésus disait encore cette parabole : « Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint chercher du fruit sur ce figuier, et n’en trouva pas. Il dit alors à son vigneron : “Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le. À quoi bon le laisser épuiser le sol ?” Mais le vigneron lui répondit : “Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas.” »
Remake du déluge
Mais avant d’en venir à la parabole, il faut, comme toujours rétropédaler un peu. Il faut rendre visite, cette fois, non pas à Abraham mais à son grand-père : Noé. Car, ce qui se passe dans cette parabole est une réplique en miniature de l’histoire du déluge.
Dieu, avions nous dit, au commencement du monde plante un jardin et y accueille l’homme. Dans cette histoire, l’homme lui-même semble planté comme une graine dont Dieu attendait des fruits. Vous savez ce qui s’est passé : au lieu de porter du fruit, Adam et Eve ont mangé du fruit défendu. L’homme-figuier-Adam-et-Eve (lisez vraiment ce texte sur l’autre figuier) n’a pas porté du fruit : ils furent comme des figuiers stériles.
L’histoire s’enroule alors sur elle-même et de crimes (Caïn et Abel) en débauches, Dieu décide à l’époque de Noé où, comme le maître de la parabole d’aujourd’hui, il n’en pouvait plus, de tout effacer et de recommencer à neuf. Voilà l’histoire du déluge. Cette histoire, comme disent les spécialistes, est surtout une critique des récits du déluge qui étaient abondants dans le monde où la Bible a été écrite. Car l’essentiel de l’histoire du déluge n’est pas le déluge lui-même : c’est ce qui suit. Déjà, ceux avec qui Dieu a recommencé n’était pas meilleurs, à commencer par Noé et son fils. Mais c’est surtout la conclusion qui montre que Dieu a simplement essayé le truc afin de l’abandonner. Il jure même :
Le Seigneur respira l’agréable odeur, et il se dit en lui-même : “Jamais plus je ne maudirai le sol à cause de l’homme : le cœur de l’homme est enclin au mal dès sa jeunesse, mais jamais plus je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait.”
Genèse 8,21
Un arbre pas si stérile
L’enjeu de cette parabole est donc la suivante: c’est l’ironie des hommes qui réclament à Dieu une solution que ce dernier a abandonné depuis des millénaires. Car, les hommes ne cesseront jamais de lui redemander la même chose encore et encore : d’arracher l’ivraie, de punir les méchants, et dans notre parabole, d’abattre le figuier stérile. Première clef de lecture de notre parabole, nous sommes peut-être dans l’erreur d’identifier Dieu avec le Maître qui y parle.
Et cette parabole permet ainsi de poser une question qui deviendra de plus en plus évident dans les grandes paraboles chez Matthieu. Lorsqu’une parabole parle du Maître, nous sommes portés très spontanément à y voir la figure de Dieu. Il suffit de penser un seul moment que le Maître, ça pourrait être non pas Dieu mais nous-mêmes pour découvrir sous nos paraboles, un sens nouveau qui monte.
Ce maître qui veut abattre le figuier stérile n’est clairement pas le même Dieu que celui de Noé dans son serment. Ce maître qui s’en prend au figuier stérile n’est clairement pas le même que celui de Jésus Christ qui se satisfait du chant des oiseaux et se réjouit des nids que les oiseaux ont fait dans les branches d’un arbre dont il ne voit la stérilité qu’à l’aune des fruits absents. Car au fond, un arbre qui a sûrement donné hospitalité aux oiseaux, vu naître des milliers d’oisillons, cet arbre est-il si stérile qu’il le dit ?
Le cauchemar du semeur
On a toujours identifié les serviteurs dans cette parabole à Jésus qui intercède pour l’humanité pécheresse. Et à juste titre. Mais Celui que Jésus supplie d’avoir patience pendant qu’on bêche et qu’on arrose, ce n’est pas Dieu le Père. Ce sont les hommes eux-mêmes, toujours impatients avec eux-mêmes, toujours pressés d’être la fin alors qu’ils sont invités à vivre le en attendant.
Cette parabole est destinée à donner un cauchemar aux semeurs impatients que nous sommes. On y voit, en effet, en la lisant à la suite des autres paraboles agricoles, que même si le semeur a pu se réconcilier avec l’idée de laisser l’ivraie jusqu’à la moisson (c’est pénible, incompréhensible, mais il l’accorde…), c’est autrement avec le bon grain qui ne porte pas de fruit. Il connaît le sort des mauvaises herbes qui ne donneront rien. Il veut les couper mais si on lui dit de ne pas le faire, il accepte, il les oublie et n’y pense plus. Mais la bonne graine tombée sur la bonne terre qui germe bien et reste stérile, ça, ça lui reste en travers de la gorge.
Vivre pleinement le « en attendant »
Tous les matins, quand il fait le tour, passant devant l’ivraie, il sait qu’il ne faut rien en attendre. C’est réglé. Puis, passant devant la plante stérile, dont il en attendait beaucoup, il sent monter en lui la rage, brûle d’impatience, bouillonne intérieurement jusqu’au jour où n’en pouvant plus, il appelle les serviteurs. Sa solution : l’arracher et recommencer, c’est-à-dire: appliquer la solution du déluge. C’est la preuve que notre semeur est toujours préoccupé par les fruits et ne voit rien d’autre de ce qui se passe en attendant.
Il m’apparaît de plus en plus évident dans cet exercice que j’ai entrepris avec vous, que Jésus fait également dans les paraboles, ce à quoi l’évangile est destiné à servir : nous aider à vivre dans le temps qui sépare la première venue de la deuxième venue, c’est-à-dire à vivre le en attendant. (Ce fut le thème du premier billet publié sur ce blog). Notre péché dans ce sens, pourrait se formuler comme suit : nous sommes non seulement impatient d’être à la fin mais surtout nous faisons toujours comme si (c’est donc du simulacre), nous faisons donc comme si nous étions déjà à la fin. Nous sommes au jugement dernier un peu trop tôt. Comme si nous savions ce que deviendra l’autre dans dix minutes pour ne pas dire ce qu’il deviendra demain. Comme si nous savions si le démon d’aujourd’hui sera demain un ange sur notre route. Comme si…
Il suffit de penser un seul moment que le Maître, ça pourrait être non pas Dieu mais nous-mêmes pour découvrir sous nos paraboles, un sens nouveau qui monte. Ce maître qui veut abattre le figuier stérile n’est clairement pas le même Dieu que celui de Noé dans son serment. Ce maître qui s’en prend au figuier stérile n’est clairement pas le même que celui de Jésus Christ qui se satisfait du chant des oiseaux et se réjouit des nids que les oiseaux ont fait dans les branches d’un arbre dont il ne voit la stérilité qu’à l’aune des fruits absents. Car au fond, un arbre qui a sûrement donné hospitalité aux oiseaux, vu naître des milliers d’oisillons, cet arbre est-il si stérile qu’il le dit ?
Le cauchemar du semeur
On a toujours identifié les serviteurs dans cette parabole à Jésus qui intercède pour l’humanité pécheresse. Et à juste titre. Mais Celui que Jésus supplie d’avoir patience pendant qu’on bêche et qu’on arrose, ce n’est pas Dieu le Père. Ce sont les hommes eux-mêmes, toujours impatients avec eux-mêmes, toujours pressés d’être la fin alors qu’ils sont invités à vivre le en attendant.
Comme les disciples d’Emmaüs, mes yeux viennent de s’ouvrir. En effet, je n’avais jamais pensé que ce Maître de la parabole du figuier stérile ne pouvait pas être Dieu.