Le sixième chapitre de l’Évangile de Jean fait découvrir pourquoi se donner soi-même est plus important que donner quelque chose. Un message intemporel de solidarité et de fraternité.
Retour sur la multiplication des pains
Dans le sixième chapitre de l’Évangile de Jean, Jésus interroge l’humanité sur la source de la subsistance et révèle que le véritable don va bien au-delà du simple pain quotidien. Jean ne raconte pas les tentations du Christ au désert ; mais on trouve dans ce chapitre 6, tous les éléments du récit des tentations : le pain, la royauté et les signes. Ici, comme dans les tentations, Jésus révèle que l’homme ne vit pas seulement du pain. Le diable s’en alla. La foule, elle aussi, à la fin, s’en ira.
Comme je disais dimanche dernier, dans le sixième chapitre de l’Évangile de Jean, Jésus pose une question centrale qui anime tout le chapitre: «Où trouverons-nous du pain pour toutes ces personnes?» Et j’ajoutais qu’il y a, dans l’extrait de dimanche dernier, trois réponses cette question. Jésus ajoute aujourd’hui une chose qui les récapitule et les dépasse toutes.
Donner pour avoir
C’est Philippe qui envisage la solution économique, basée sur l’argent et les ressources. Il fait presque un rêve d’enfant: «Si je devenais milliardaire, Jésus, j’aurais une solution pour toi». Dans ce système, pour avoir du pain, il faut donner de l’argent. Donner pour avoir. Mais il reconnaît aussi que l’argent de deux cents journées de travail ne suffirait pas pour que chacun ait un petit morceau de pain. Philippe reconnaît que l’argent seul ne peut satisfaire les besoins de l’humanité. La solution économique est limitée et souvent décevante.
Donner par devoir
La deuxième solution imaginée par la foule est politique. C’est encore un rêve : apporter le changement au moyen de la force politique et du pouvoir. Jésus a donné une fois du pain en abondance et gratuitement. On veut faire de lui un roi. Mais dès qu’il sera roi, il sera obligé de donner du pain : donner par devoir.Jésus repousse la foule qui veut le faire roi. Ce faisant, il montre que cela est important, mais insuffisant. La politique seule ne peut satisfaire le besoin profond des hommes.
Donner pour donner
La troisième solution, préférée par l’évangile de dimanche dernier, est le don gratuit. Un enfant donne son peu, cinq pains et deux poissons, sans attendre de devenir milliardaire, et Dieu est si touché qu’il les donne à son tour et, de don en don, on nourrit des milliers de personnes. Ce geste de générosité enfantine montre la voie véritable : partager sans attente. C’est cette simplicité et cette disposition à donner immédiatement ce que nous avons qui peuvent rendre le monde meilleur. C’est ce que nous avons vu dans l’Évangile de dimanche dernier.
Derrière le don, il y a le donateur
L’Évangile d’aujourd’hui ajoute cependant que le don peut aussi être limité et insuffisant. Économie, oui. Mais insuffisante. Politique, oui. Mais aussi insuffisante. Partage, oui. Mais… un don n’est jamais seulement quelque chose. C’est aussi et toujours quelqu’un. Quand quelqu’un vous fait un cadeau, vous ne pouvez pas dire : « Je suis très content de votre cadeau, mais vous-même, vous ne m’intéressez pas ». Soit on refuse le cadeau, ce qui signifie automatiquement qu’on rejette aussi le donateur. Soit on accepte le cadeau, et cela signifie qu’on accepte également le donateur.
Dans l’Évangile d’aujourd’hui, c’est ce que Jésus dit à la foule : « Je ne vais pas seulement vous donner du pain, je vais me donner moi-même pour vous ». Et c’est précisément ce que la foule ne comprend pas. Moïse a donné de la manne au désert, fais-en de même, disent-ils à Jésus. Ils veulent quelque chose, pas quelqu’un. Ils veulent du pain, le reste ne les intéresse pas tant que ça. « Du pain ! », peu importe qui le donne : Jésus, Moïse, Dieu, le Diable ? Peu leur importe, tant qu’ils ont assez de pain. (Des iPhone pimpant neufs peu importe si des enfants meurent au Congo dans les mines qui permettent d’en fabriquer)…
Donner, c’est se donner
Et voici la leçon de l’évangile d’aujourd’hui, le pas de plus : donner est la troisième solution préférée à la question du pain pour tous. Mais donner peut aussi devenir une excuse ou un sauf-conduit. Donner seulement quelque chose pourrait aussi devenir un moyen de se libérer du fardeau de l’autre, comme dit Hannah Arendt.
Cela arrive, par exemple, lorsqu’un mendiant dans la rue insiste tellement que vous finissez par lui donner une pièce pour qu’il vous laisse tranquille. Ou lorsqu’un mendiant frappe à la porte et que vous avez envie de le renvoyer aux services sociaux parce que vous avez payé l’impôt (donner par devoir). D’où la question de l’évangile d’aujourd’hui : pourquoi ne pas donner seulement quelque chose, mais se donner soi-même ? Ou inversement, quand on reçoit un don : pourquoi ne pas seulement recevoir quelque chose, mais aussi accueillir le donateur ?
Quand donner fait du lien
Dieu, dit le pape François, n’est pas comme un facteur qui vient livrer un colis et repart ensuite. Dieu est à la fois le facteur et le contenu du colis. Donc, donner, oui. Mais à condition que nos dons ne soient pas seulement un échange de biens matériels, mais un échange d’amour, de vie, de solidarité, de fraternité. Je pense que c’est ce que Jésus veut dire en affirmant qu’il ne donne pas seulement du pain, mais qu’il est lui-même le pain de vie. Il ne donnera pas seulement, il se donnera.
Le pain qui se donne à nous dans chaque Eucharistie, pour que nous soyons toujours plus liés à Dieu et les uns aux autres. Un don, un échange, nourrit une communauté, crée du lien. Les dons que nous nous offrons les uns aux autres, les dons que nous recevons de Dieu dans l’Eucharistie, ne doivent pas rester des actes dépourvus de sociabilité, mais nous rapprocher les uns des autres et créer plus de solidarité dans le monde.