Je trouve Noël plus empli de mystères que Pâques. Qu’un homme devenu adulte meure, cela sonne normal. Mais que le même homme devenu grand doive chaque année redevenir petit, retourner dans le sein de sa mère et renaître, je trouve que c’est le véritable mystère de la foi chrétienne.

La grâce l’enfant et le sourire du monde

Pendant les derniers jours de l’avent, tandis que Noël s’approchait pas à pas, une question ne me lâchait plus : pourquoi Dieu s’amuse-t-il chaque année à redevenir un enfant ? Moi, je crois que ça l’amuse. Mais peut-être est-ce une affaire sérieuse, puisque c’est quand même de Dieu qu’il s’agit (quoi encore que, dans sa toute-puissance, il lui arrive de s’amuser. Dois-je vous renvoyer ici à un fameux livre dont je m’apprête à vous donner de bonnes nouvelles bientôt ?). Même si c’était une affaire sérieuse, ça ne fait que renverser la question sans la faire disparaître : qu’y a-t-il d’aussi sérieux dans le fait même de l’enfance pour que Dieu y soit autant attaché ?

Mais je pense que la réponse à cette question est évidente pour chacun. Car imaginez un petit instant un monde, transportez-vous dans un monde imaginaire où l’on ne ferait plus d’enfants… Supposez, par exemple, qu’à partir de demain, aucun enfant ne naisse plus jamais (comme prêchent certains écologistes grincheux). A quoi ressemblerait un tel monde ? Je crois et je suis convaincu, parole de célibataire sans enfant, qu’un monde dans lequel aucun enfant ne naîtrait plus serait ennuyeux à mourir.

Dieu s'est fait homme

Si aucun enfant ne naissait plus, à quoi servirait tous les efforts des hommes ? Pourquoi nous battrions-nous pour laisser un monde meilleur si personne ne devait plus venir y vivre ? Pourquoi nous efforcerions-nous de laisser des traces de nos hauts faits si personne ne devait plus venir les chanter ? Pourquoi le jeune homme d’affaires se lèverait le matin avec détermination si, dans quinze ans, il ne devait plus avoir de clients ? Si jamais aucun enfant ne devait plus naître, à quoi serviraient les banquiers, les politiciens, les chercheurs, les artistes ? A qui laisseraient-ils le monde qu’ils essaient de construire ? Pourquoi voudrait-on même devenir adulte, prendre des responsabilités s’il n’y avait aucune chance de devenir père ou mère ? Si jamais aucun enfant ne devait plus naître, pourquoi aurions-nous des valeurs puisqu’il n’y aurait personne à qui les transmettre ?

Je pourrais continuer avec la liste des questions, mais vous voyez la chose. Si jamais aucun enfant ne devait plus naître, il n’y aurait plus qu’une seule chose à faire : mettre le feu à la maison, descendre dans la cave pour se saouler avec le reste du vin, afin de finir au moins dans une joyeuse apocalypse. C’est parce que des enfants naissent, que nous ne faisons pas cela. C’est parce que des enfants continueront de naître que les hommes continueront de se battre pour un monde meilleur. Que des enfants continueront de naître, c’est la seule raison pour laquelle il y a un monde.

Voilà pourquoi Noël

Mais Dieu aurait pu se contenter de nous dire cela, tout simplement. Et il le dit d’ailleurs abondamment et à plusieurs reprises dans les évangiles. Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas. Car le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemble. Ou ailleurs encore : Celui qui accueille un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il m’accueille et celui qui m’accueille accueille mon Père. Mais il ne se contente pas de le dire. Il devient lui-même un enfant, il nous offre une fête à célébrer chaque année pour que jamais nous n’oubliions la leçon.

Je ne suis pas en train de dire que toute l’histoire de Noël serait destinée à nous encourager à faire des enfants. Peut-être. Sûrement. Ça ne serait déjà pas mal. Mais le mystère va bien au-delà de ce simple constat. Et cela m’amène à une deuxième chose. Il y a toujours un grand dilemme à propos des prédications de Noël. Doit-on rester dans l’enthousiasme et la beauté, la féérie et le romantisme qui entourent toujours cette belle fête ou doit-on prêcher la réalité de notre monde qui avec ses tyrans et ses guerres, ses pandémies et ses crises à répétition, n’est pas si beau à voir et souvent triste à mourir ?

La grâce de l’insouciance

Je vous concède que le mystère de Noël renferme les deux réalités mais je préfère mille fois nous laisser à l’enthousiasme, à la féérie. Je préfère nous inviter à poser le regard sur la beauté du monde, la joie qui la traverse aussi plutôt, la féérie qui l’habite et à laisser les problèmes pour demain ou pour après-demain. Le catholicisme n’a d’ailleurs jamais reculé devant la culture populaire. Ceux qui crachent sur les guirlandes et les cadeaux parce que ça dénature Noël devrait relire l’histoire ou… Chesterton. Et pourquoi ? Eh bien, une fois encore, c’est parce que c’est d’un enfant qu’il s’agit. Un enfant tout court, et a fortiori un enfant qui vient de naître, avouez que c’est déplacé de l’accabler avec tous les problèmes du monde n’est-ce pas ?

Je ne dis pas que Noël est une fête bonne seulement pour les enfants parce qu’ils n’ont pas de soucis. Je dis que Noël est une fête qui invite même les adultes à réapprendre les vertus de l’enfance et à réapprendre la patience et l’espérance et un peu d’insouciance. Commencer à nous plaindre ici de ce que le monde va mal, c’est comme si nous attendions Dieu apporte des solutions tout de suite en naissant. À Noël, Dieu nous est donné comme un enfant et un enfant n’a pas besoin qu’on lui déverse tous les problèmes du monde sur la tête… On ne va pas lui reprocher, à peine né, de ne pas être un adulte. On ne va pas accuser un germe de ne pas porter des fruits, ni un homme de ne pas être un saint.

Aujourd’hui est un mot qui revient de façon insistante dans le récit de Saint Luc que nous avons écouté. Aujourd’hui, il est un enfant et ça nous suffit. Aujourd’hui, on peut se laisser aller à contempler le sourire du petit Jésus, à répondre au chant des anges, à laisser nos cœurs battre de l’émerveillement des bergers, à participer à l’étonnement du bœuf et de l’âne et des brebis qui se demandent tous ce qui leur arrive soudain. Aujourd’hui, il faut le laisser nous arriver comme une bonne nouvelle et nous faire sourire par ses rires et ses pleurs. Pour Noël, c’est suffisant. Dans trente ans, cet enfant sera devenu grand, il agira et on pourra lui demander des choses et d’autres. Mais nous n’y sommes pas encore. Alors?

En attendant

Les chrétiens sont connus pour célébrer le fait que leur Dieu ne vient pas comme un guerrier invincible, comme un roi puissant mais comme un enfant. Mais nous sommes souvent loin de tirer les conséquences de ce fait à leur juste mesure. Ce fait signifie, entre autres, que Dieu ne vient pas à nous comme un adulte, tout prêt pour le boulot mais comme un enfant qui a besoin du temps de grandir avant de commencer à agir. La conclusion, c’est qu’il faut attendre

Apologie du provisoire

Je rêve d’écrire un livre qui porterait ce titre très simple : en attendant. C’est ce que les hommes savent faire le moins au monde. Car, qu’est-ce qu’on fait en attendant qu’il ait trente ans ? Voilà la question véritable devant laquelle nous met la venue de Dieu en ce monde sous la figure de l’enfant. Il va sauver le monde, bien sûr. Mais ça ne va pas commencer aujourd’hui, ni demain, il faut attendre… Qu’est-ce qu’on fait en attendant ? Eh bien, on peut dessiner « une éthique du en attendant » en plusieurs points. Ce n’est pas la tâche aujourd’hui, ça viendra dans le fameux livre si un jour j’arrive à l’écrire. La première et la plus évidente dans cette logique du en attendant, eh bien c’est qu’il faut attendre. Ça a beau être une tautologie, c’est là la vérité première que j’y perçois.

Apologie du provisoire

Attendre, dans ce sens, c’est reconnaître que tout — absolument tout — est provisoire. On en parlait déjà à la fin de l’année liturgique. Mais ce qu’il faut y ajouter ici est la suivante : tout est provisoire ne veut pas dire que rien ne vaut rien. Tout est provisoire veut dire que c’est dans le provisoire qu’il faut trouver sa joie. Les chrétiens n’ont cessé de professer que le monde passe et qu’un nouveau monde vient. Oui, mais c’est dans ce monde qui passe qu’il faut trouver sa joie, en attendant le monde nouveau.

C’est cela la grâce de l’enfant et c’est cela la grâce de Noël. Certes, il y a quelques grincheux de nos jours qui pleurent d’amertume devant un berceau sous prétexte que toute naissance est un malheur pour la planète. Ils ressemblent au garçon qui aurait préféré plutôt un chien qu’une petite sœur. Disons que là est une exception maladive. La règle semble la suivante : lorsqu’on voit un enfant, il y a du bonheur dans le sourire qu’il nous envoie, sans condition. On ne sait pas si l’enfant qui vient de nous sourire et de nous envoyer un baume au cœur, on ne sait pas s’il va devenir gangster ou s’il va devenir un homme qui changera l’histoire du monde. On ne sait rien de tout cela mais on trouve la joie dans le fait qu’il soit là. La joie dans le provisoire !

Et c’est cela la joie véritable : laisser demain s’inquiéter de lui-même (Mt 6) et recevoir aujourd’hui (ce mot qui résonne dans l’évangile de ce soir) comme une grâce. Demain, les bergers retourneront à leurs pâturages. Peut-être même que rien n’aura changé pour eux. Mais nul ne peut leur enlever cette joie et cet espoir jailli du fond de la nuit. Ils auront trouvé de la joie dans un monde pourtant imparfait. Voilà la chose.

A Noël, Dieu est content de venir dans un monde imparfait. Peut-être pour nous apprendre l’art d’être content avec des choses imparfaites. L’art de ne pas attendre que le monde soit parfait avant de lui sourire. Voilà ce que nous apprenne les enfants. Trouver de la joie dans un monde malgré tout imparfait et qui restera, en attendant, toujours et longtemps imparfait, voilà le défi que nous lance l’enfant Jésus. Trouver son allégresse aujourd’hui sans attendre le jour où tout sera parfait, voilà le message que nous lance continuellement les enfants qui naissent. Voilà pourquoi, quoi qu’il se passe dans votre vie ou dans la vie d’un proche ou dans le monde où nous sommes, Noël vient chaque année avec cet adjectif inchangeable et têtu : Joyeux Noël, avec insistance bien sûr le premier mot.

7 Comments

  1. Joyeux Noël. Joyeux Noël. Joyeux Noël et ce rappel important de savoir apprécier l’instant présent, l’enfant qui est là sans se soucier encore de ce qu’il deviendra ou de ce qu’il mangera.

  2. En « attendant » les pleurs du Vendredi Saint, le silence du Samedi Saint et l’Alléluia du Dimanche de la Résurrection, vivons l’instant présent de Noël dans son Gloria. Ce Gloria qui retentit dans les cieux et qui inonde la terre par ses ondes.

  3. Christmas o Natale as you know dear Abbe Leonard .. is a celebration not towards “ money” expenditure “ but to reflect upon Jesus coming into our life.. not capitalism nor consumismo nor false attitude but clearly to cinders Jesus first and his teaching.. as we gather the gospels .. remember soon will be eastern therefore .. his death n resurrection .. then you ll have justify what Christmas have brought you in term of action or giving ; in terms of love towards your enemy ; towards your faith the appreciation of god s will ; towards the complexity of life ( illness financial troubles etc..) ..Christmas should be a joy a simple gathering ( Jesus was born in a munger) in my view. And thank you caro p Leonardo for this blog.
    Ciao e buon anno happy new to everyone avevo l amour de diuex.
    Dario

  4. A Noël, Dieu est content de venir dans un monde imparfait. Peut-être pour nous apprendre l’art d’être content avec des choses imparfaites. L’art de ne pas attendre que le monde soit parfait avant de lui sourire. Voilà ce que nous apprenne les enfants. Trouver de la joie dans un monde malgré tout imparfait et qui restera, en attendant, toujours et longtemps imparfait, voilà le défi que nous lance l’enfant Jésus. Trouver son allégresse aujourd’hui sans attendre le jour où tout sera parfait, voilà le message que nous lance continuellement les enfants qui naissent. Voilà pourquoi, quoi qu’il se passe dans votre vie ou dans la vie d’un proche ou dans le monde où nous sommes, Noël vient chaque année avec cet adjectif inchangeable et têtu : Joyeux Noël, avec insistance bien sûr le premier mot.

    C’est le meilleur conseil que j’ai lu cette année. Vivre heureux dans un monde imparfait

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