Il y a une fameuse œuvre de Bach, bien connue des musiciens classiques, qui s’appelle Le clavier bien tempéré. JS Bach tente d’y faire le tour de toutes les tonalités du mode de Do. Faire le tour, ça s’appelle faire une révolution. C’est de cela qu’il s’agit aussi avec une année nouvelle. Vous voyez?

Des ans et des astres

Qu’est-ce qu’une année ? Et qu’est-ce que cela veut dire qu’une année soit nouvelle ? D’un point de vue scientifique, la réponse est assez simple : une année se termine et une nouvelle commence lorsque la Terre a fait une fois le tour du soleil. De même qu’un mois correspond à peu près à une révolution lunaire. Le soleil, la terre, la lune… des astres. Célébrer la nouvelle année, c’est donc au fond lever les yeux vers les astres.

Et quand on présente les choses ainsi, cela paraît soudain curieux aux chrétiens, eux qui prétendent avoir abandonné toutes ces curiosités qui, à leurs yeux, gardent quelque relent d’idolâtrie. On se boucherait presque les oreilles dans une église si j’y prononçais le mot d’astrologie, avec quelque connotation positive. Mais n’est-ce pas un peu de cela qu’il s’agit à chaque fois que nous célébrons une nouvelle année ? Peut-être même la question n’est-elle pas aussi dérangeante que je tente de la présenter.

Car, sur ce registre, la naissance de Jésus fut un événement extraordinaire. Vous le savez bien, mais il n’est pas inutile de le répéter. C’est un événement cosmique qui ne sauve pas seulement l’humanité, comme on a souvent tendance à l’y réduire, mais la création, le cosmos tout entier. Et le cosmos entier était déjà présent à la naissance, cette naissance qui a rassemblé dans la nuit de Bethléem les anges, les animaux, les hommes et un astre. Comme il y avait un risque de dire que le monde végétal manquait à ce rassemblement cosmique, dans certaine culture, on y a ajouté le sapin pour que la boucle soit bouclée.

Des magiciens venus d'Orient voir Jésus, les Rois mages

Des astrologues venus d’Orient

Et ce que je viens de dire nous ramène à cette étoile dont nous avons entendu parler dans l’Évangile des Rois mages. À cet astre par lequel ils se laissent guider et conduire. Ce geste des Mages suivant les astres, leur faisant littéralement confiance, en fait des astrologues qui viennent rendre hommage au Christ. Mais leur geste montre surtout de quoi est fait ce que nous appelons l’humanité et la culture humaine. Nous les hommes sommes des êtres qui, inlassablement, transforment des faits en signes.

Les mages-astrologues voient une étoile : ça, c’est un fait. Et ils se disent que ce doit indiquer la naissance d’un roi : ils en font un signe de quelque chose d’autre. Ils transforment un fait en signe. Et cela arrive bien plus souvent qu’on ne pourrait le penser. Quelqu’un me regarde d’une certaine manière et je me dis que c’est peut-être le signe que… Je veux sortir de chez moi et j’oublie trois fois la clé de ma voiture et je me dis que c’est peut-être le signe que… Mon amie ne m’appelle pas pendant trois jours consécutifs et je me dis que c’est peut-être le signe que… Nous, les humains, sommes ainsi d’extraordinaires machines à produire des signes. Au final, nous sommes donc tous un peu astrologues.

Mais nos mages-astrologues nous montrent surtout dans quelle mesure nous pouvons être de bons astrologues et ne pas nous perdre dans cette masse de signes que nous fabriquons à tour de bras. Et en ce sens, leur démarche peut nous servir de guide, non seulement pour traverser sereinement la nouvelle année, mais aussi pour l’ensemble de notre vie chrétienne. Comment ? En suivant non plus ce que font les rois mages, mais en parcourant le chemin avec eux pour voir comment ils s’y prennent. Leur voyage a souvent été lu comme un pèlerinage, c’est-à-dire comme un voyage spirituel, un chemin d’apprentissage, une initiation.  On peut y voir quatre étapes.

Voir des signes : l’astrologie primaire

La première marche pourrait s’appeler l’étape des signes. Les mages voient un signe, une étoile dans le ciel, et la suivent. Rien que ça. D’après l’histoire des saints Innocents, on peut supposer qu’ils ont marché pendant au moins deux ans. Tant d’efforts pour une simple étoile dans le ciel, pour un signe minuscule. Ça nous paraît en fait trop facile. Car même si nous fabriquons tous des signes, comme je viens de dire, nous nous méfions tout de même un peu de ceux qui voient des signes partout. Cela peut devenir parano et surtout superstitieux.

Mais cela ne veut pas dire que les signes ne sont pas importants. Après tout, nos mages ont suivi l’étoile. Percevoir, chercher des signes, ça peut être aussi le fait que Dieu nous montre quelque chose, qu’il nous appelle à quelque chose, qu’il veut nous guider. Mais un signe pose toujours un défi : le défi de ne pas se tromper de signe, de ne pas prendre n’importe quelle étoile pour l’étoile de Bethléem, de ne pas prendre n’importe quelle voix pour la voix de Dieu.

Lire la Bible en communauté, la Parole est communion

Entendre la parole : l’astrologie tempérée

Et c’est précisément ici que commence la deuxième étape du voyage des mages. On pourrait l’appeler l’étape de la parole de Dieu. Les signes sont importants, mais insuffisants, car ils peuvent signifier tout et son contraire. L’étoile qui guide les mages apparaît parfois et disparaît parfois. Elle n’est pas si fiable, après tout. D’ailleurs, munis seulement de ce signe les mages se trompent : ils ont atterri à Jérusalem au lieu de Bethléem, dans un grand palais au lieu d’une petite étable. Pour eux, les mots étoile et roi nouveau-né mènent comme automatiquement à une grande ville (Jérusalem) et à un palais (celui d’Hérode). Et en cela, ils se trompent. Le signe seul, ça ne suffit pas.

Pour s’y retrouver, les mages doivent passer à la deuxième vitesse, c’est-à-dire entendre la parole de Dieu. La lumière de l’étoile disparue est remplacée et confirmée par la lumière qui jaillit de la Parole. Hérode appelle les spécialistes de la Bible et ils ouvrent la Parole de Dieu, et voilà que la lumière jaillit de nouveau. Il faut être pourtant attentif à un autre détail ici. Et le voici : la Parole de Dieu ne peut pas non plus être lue seule. Écouter la Parole de Dieu, c’est aussi interroger la tradition de nos pères, la parole de nos frères et sœurs qui nous entourent. En bref, c’est se mettre à l’écoute de la communauté qui nous entoure dans le temps et dans l’espace.

La Parole est communauté

Car la parole de Dieu est communion. Sans communauté, la parole peut être aussi trompeuse que les signes. Un passage biblique peut parfois, comme l’étoile, signifier tout et son contraire. Il y en a qui sont peut-être heurtés d’entendre cela parce qu’ils lisent leur Bible tous les matins et y cherchent la lumière « seul(e) avec Dieu ». Il y aurait beaucoup à dire sur cette question mais le plus simple est de dire que, même dans ce cas, avant de savoir ce qu’est une Bible, de savoir comment l’ouvrir et de savoir quelle lumière y trouver, vous avez (eu) besoin d’une communauté qui vous a appris tout cela. C’est cette communauté qui vous a appris à traiter ce livre autrement que les aphorismes de Gandhi ou le dernier roman de Marc Lévy. Vous ne pouvez vous en passer.

C’est pourquoi nous avons toujours besoin, en tant que chrétiens, d’une communauté pour pouvoir comprendre ensemble les signes à travers la Parole. Cette mise à l’écoute des autres a, en fait, pour fonction, de tempérer l’ardeur, la prétention qui naît de la certitude des signes. Un signe peut dire des choses différentes à différentes personnes. En les confrontant, on a plus de certitude de ne pas finir dans un ravin en suivant ses propres certitudes dogmatiques.

Cette communauté n’a même pas besoin d’être parfaite. (Ce n’est pas sa perfection propre qui rend la parole de Dieu parfaite !) Dans la « communauté de parole » que nous présente l’évangile, Hérode est le chef et les spécialistes de la Bible sont à ses ordres. Et pourtant, dans une communauté aussi imparfaite, la Bible fait tout de même jaillir la lumière pour les mages. Cela ne signifie pas qu’il faut rester dans l’imperfection. Cela signifie que, quoi qu’il arrive, nous ne devons pas perdre espoir. C’est dans une telle communauté que les mages découvriront, que nous découvrirons que le signe de l’étoile n’indiquait pas ce qui nous paraissait évident. Qu’il n’indiquait pas une grande ville, mais le petit bidonville perdu de Bethléem, et non pas un palais et un trône, mais une étable pas très propre.

Dieu peut décevoir

Le signe décevant : l’astrologie dépassée

La troisième étape consiste alors parfois, après avoir conférer avec les autres, à accepter la déception. La déception de recevoir ce qui n’était pas attendu, la déception de changer les interprétations que je pensais être les bonnes. C’est l’étape qui nous éloigne le plus du confort de la superstition. Le superstitieux est celui qui croit que ses signes disent toujours la vérité.

L’astrologue — entendu ici dans le sens péjoratif du mot — est celui qui croit que ses signes ne mentent pas. Celui qui accepte de dépasser cette étape toute naïve, c’est celui qui est disposé à accepter, grâce à l’écoute des autres, que les signes nous trompent parfois et même très souvent. Nous pensions que le signe indiquait un palais. Mais ce n’est qu’une étable. On pensait qu’il s’agissait d’un grand roi. Mais c’est un enfant qui pleure quand il a faim et qui rit quand il a son lait, qui fait pipi et autres délicatesses sur sa mère comme tous les enfants.

Balthazar a peut-être pensé dire à Melchior et Gaspar : « Venez, nous avons perdu notre temps, il vaut mieux retourner au bled ». Cette étape décide s’il y aura ou non une quatrième étape. Elle décide s’il faut reprendre le même chemin ou, comme les mages, prendre un autre chemin.

Le doute et la foi sont jumelles

C’est l’étape du doute. Ou encore celui de la foi. Les deux sont les faces d’une même médailles. On peut se dire : « Tout cela n’est pas sérieux. Un Dieu qui naît comme un enfant dans une crèche sale, ce n’est pas sérieux ». On peut aussi se dire : « Dieu ne nous a pas menés jusque-là pour rien. Nous n’avons pas compris ce qu’il voulait nous dire avec tous ces signes. Mais nous sommes prêts à attendre qu’il nous révèle le sens de toutes ces choses ».

Il y a un théologien méthodiste américain au nom très germanique qui a été désigné il y a 20 ans comme le plus grand théologien américain vivant : Stanley Hauerwas. Le journaliste qui le couronna de ce trophée lui demanda pourquoi il avait étudié la théologie. Ce à quoi il répondit :

« Quand j’étais adolescent, comme la plupart des jeunes, j’ai commencé à préférer aller traîner avec les copains plutôt que d’aller à l’église. Ça ne m’intéressait plus et peu à peu, je me suis dit aussi qu’être athée, c’était plus cool. Puis, au moment d’entrer à l’université, je me suis dit que je n’avais peut-être pas tout à fait compris ce que je prétendais rejeter. Je suis donc allé à la faculté de théologie pour étudier ce que je rejetais, afin de pouvoir mieux le rejeter. Le problème, c’est que je n’ai toujours pas fini de l’étudier. »

Et les mages repartirent par un autre chemin

Adieu l’astrologie, bonjour la foi

Et cela s’appelle la foi, ne pas avoir tout compris, et pourtant y tenir avec l’espoir d’aller de plus en plus loin dans la compréhension. Et cela conduit à prendre un autre chemin, un autre chemin que celui qui nous a menés jusqu’ici. Ce chemin ouvre la quatrième étape de ce pèlerinage des mages. Et la question est toujours la suivante, pour eux comme pour nous : y aura-t-il pour moi, pour vous, pour nous… une quatrième étape ? Y aura-t-il un nouveau chemin ?

Au cours des années passées autant que pendant la nouvelle, tout aura le parfum d’un signe : une guerre ici ou là, une crise dans tel ou tel secteur, quelque chose qui nous arrive ou quelque chose que nous souhaitons mais qui n’arrive pas… tout ça sera le signe de ceci ou de cela ou de rien du tout. Les mages d’Orient nous indiquent une manière de ne pas nous précipiter, de ne pas nous laisser tromper par ces astres, d’interpréter les événements dans la foi et la communauté et d’avancer sereinement sur les nouveaux chemins que Dieu nous montre.

C’est aussi ce que je voudrais nous souhaiter au début de cette nouvelle année dans la foi : premièrement, être attentifs aux signes de Dieu dans l’histoire de notre vie ; deuxièmement, les évaluer à la lumière de la Parole de Dieu, avec les autres dans nos communautés ; troisièmement, même si le résultat n’est pas celui que nous attendons, y reconnaître Dieu qui nous y appelle et nous y inspire à autre chose que ce que nous pensions ; et quatrièmement, emprunter ces nouveaux chemins, oser les nouvelles voies, accepter les nouveaux commencements.

2 Comments

  1. premièrement, être attentifs aux signes de Dieu dans l’histoire de notre vie ; deuxièmement, les évaluer à la lumière de la Parole de Dieu, avec les autres dans nos communautés ; troisièmement, même si le résultat n’est pas celui que nous attendons, y reconnaître Dieu qui nous y appelle et nous y inspire à autre chose que ce que nous pensions ; et quatrièmement, emprunter ces nouveaux chemins, oser les nouvelles voies, accepter les nouveaux commencements.
    J’ai surtout apprécié le rapport de l’importance de lire et de comprendre la parole de Dieu en communauté. C’est ce que vous faites aussi ici en partageant chaque semaine votre compréhension de l’évangile du dimanche.
    Bonne année à vous aussi Père.

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