Il y a trois face à face dans l’évangile d’aujourd’hui. Ça commence par la rencontre de Jésus et de la samaritaine. Puis ça passe au dialogue de Jésus avec ses disciples. Puis ça finit dans un dialogue entre la samaritaine et les habitants de son village. Le premier dialogue est très intense : Jésus et la femme se renvoient les questions et les réponses l’un à l’autre avec beaucoup d’intensité et de sérieux. En revanche, lorsque les disciples arrivent, ça tourne un peu à la blague. Ils voient Jésus avec une femme et dans leur tête, ça fait des étincelles et, quand Jésus refuse de manger, ils murmurent entre eux : on dirait que quelqu’un lui a fait à manger. C’est de bons hommes qui sont prêts de se laisser aller à des ragots, c’est drôle et c’est léger et c’est dingue.

Je n’utilise pas le mot « ragot » pour faire moi-même des ragots. Dans la bible, les rencontres entre un homme et une femme au bord d’un puits sont très significatives. Elles signifient toujours qu’il y a un mariage à l’horizon. C’est vrai pour Abraham, Isaac, Jacob… La femme d’Isaac a été rencontrée au bord d’un puits. Jacob a rencontré ses femmes Rachel et Rébécca au bord d’un puits. Moïse a rencontré sa première femme, la noire, au bord d’un puits. Lorsque les disciples voient Jésus parler à une femme au bord du puits, ils se disent ou lala, aïe, aïe, aïe… Jésus pense peut-être à se marier aussi ! Voilà le ragot et c’est drôle.

Mais cela a beau être un ragot, c’est peut-être la partie la plus sérieuse de notre évangile. Non pas à cause des ragots que colportent les disciples mais à cause de la réponse que leur donne Jésus. Entre le moment où la femme est partie et le moment où elle revient avec les gens du village, Jésus parle à ses disciples d’un champ avec la moisson dorée, le moissonneur et le semeur, etc. Qu’est-ce qu’il veut dire et quel est le lien de tout cela avec l’évangile bien connu de la samaritaine?

La femme rencontrée au puits, la Samaritaine, est une pauvre femme. Elle a eu cinq maris et elle vit avec un sixième qui n’en est pas un. Sa vie ressemble à ce qu’elle faisait ce midi là était l’image même de ce qu’était sa vie : aller chercher de l’eau au puits, vider la cruche, retourner au puits, revider la cruche, y retourner encore, vider à nouveau, retourner de nouveau, comme un hamster dans une roue qui tourne sans fin. Prendre un mari, se séparer, en reprendre un, se séparer de nouveau, etc. Elle en a eu cinq et elle s’est sûrement fatiguée, parce que celui avec lequel elle est désormais, elle a dû décider, à bout de force, de ne plus l’épouser.

Ce qu’elle faisait ce midi-là, aller chercher de l’eau au puits, vider la cruche et être obligée d’y retourner, encore et encore et encore, est en réalité comme un film, une photo de sa propre vie (et de nos vies). C’est pourquoi Jésus lui promet de lui donner une eau qui l’apaiserait pour de bon, à jamais, pour qu’elle n’ait plus à courir, pour qu’elle ait un peu de bonheur pour de bon dans sa vie. Au départ, elle n’y croit pas. Quand vous avez souffert mille désillusions dans votre vie, vous ne croyez bien sûr pas le premier venu sur parole. Elle essaie même de marquer les distances entre elle et cet homme qu’elle a vu au bord du puits. Elle lui dit : Tu es un homme, je suis une femme. Tu es un juif, je suis une samaritaine. Toi tu es pur, moi je suis impure. Donc c’est mieux de garder les distances. Telle était sa réponse à la proposition de Jésus.

Garder les distances, c’est sans doute ce qu’auraient fait les apôtres. Eux, en bons juifs, n’auraient pas facilement parlé à une femme en plein midi, encore moins à une samaritaine, encore moins au bord d’un puits. Et c’est pour cela qu’ils font des ragots sur Jésus. Ils sont tentés naturellement de prendre cette femme de haut, de ne lui reconnaître aucune importance, de la rejeter de la même façon d’ailleurs qu’elle est rejetée par les gens de son village. Et c’est pour cela que le discours que Jésus leur adresse est important. Il leur dit : levez les yeux !

« Levez les yeux et regardez! », leur dit-il. Levez les yeux et regardez: le péché n’est pas toujours où vous pensez. Levez les yeux et regardez: l’amour peut jaillir des puits qu’on croyait à sec. Levez les yeux et regardez: les aveugles ne sont pas toujours ceux que vous croyez. Levez les yeux et regardez : Dieu est encore là où vous le croyez absent. Levez les yeux et regardez, ne restez pas terre à terre, ne vous fiez pas aux apparences, levez les yeux et regardez de plus près.

C’est pourquoi, à ce sujet, Jésus évoque l’image de la moisson : là où on ne voit que des plants encore verts dont on ignore s’ils porteront du fruit dans 4 mois, Jésus invite à regarder déjà un champ doré et prêt pour la moisson. Le moissonneur doit donc être assez attentif, assez prudent pour ne pas briser le roseau froissé ni éteindre la mèche qui brûle encore.

Et à peine les disciples ont peut-être tenté de lever les yeux, ils voient cette femme, cette pauvre femme dont ils se moquaient, cette femme revient donc en ayant converti un village tout entier. « Dès maintenant, le moissonneur reçoit son salaire: il récolte du fruit pour la vie éternelle, si bien que le semeur se réjouit avec le moissonneur ». Il faut levez les yeux vers le ciel, prendre de la hauteur pour voir en tout homme, et surtout en cette pauvre femme, l’eau vive que Dieu y fait couler et non la boue qui salit cette eau. Lever les yeux, prendre de la hauteur par rapport aux événements et aux hommes qui nous entourent. Levez les yeux, prenez de la hauteur… voilà ce que Jésus nous dit dans l’évangile d’aujourd’hui. Combien de samaritaines ne rencontrons-nous pas souvent dans nos vies. Éduquer le regard, savoir lever les yeux vers plus haut, plus beau, c’est apprendre à les regarder comme Dieu les regarde et à moissonner en eux le plus beau que Dieu y sème.

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